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Intérim digital : le potentiel, ses limites et sa régulation

Le | Intérim

D’ici 2024, le digital devrait représenter 3,6 % du marché du travail temporaire en France, selon une étude Xerfi. Comment les services digitaux cohabitent avec les réseaux physiques ? Comment le secteur de l’intérim s’organise pour protéger ses intérêts face aux start-ups ?

Dossier Intérim digital sur RH Matin : volet potentiel, limites et régulation  - © D.R.
Dossier Intérim digital sur RH Matin : volet potentiel, limites et régulation - © D.R.

Perspectives de marché : vers une consolidation

Sébastien Archi, Directeur des affaires économiques de Prism’emploi - © D.R.
Sébastien Archi, Directeur des affaires économiques de Prism’emploi - © D.R.

L’intérim digital prendra-t-il la relève sur le marché de l’intérim appuyé par l’approche « phygital » (mi-physique mi-digital) des plus grands acteurs du marché (Manpower, Adecco, Randstad…) ou s’accrochera-t-il à un statut de niche ?

Les deux perspectives ne sont pas incompatibles. Mieux : elles pourraient faire l’objet d’une certaine consolidation. Selon une étude du cabinet Xerfi publiée en septembre 2022 (« Une nouvelle ère pour l’intérim digital ? »), le digital représentera 3,6 % du marché du travail temporaire en France en 2024.

La progression est indéniable sur fond de digitalisation globale des services RH, comme le recrutement. Le marché de l’intérim 100 % digital doit progresser de 12 % à 22 % par an pour représenter un chiffre d’affaires compris entre 700 et 900 millions d’euros d’ici 2024.

Une tendance à rebours de l’orientation générale du marché, les revenus des entreprises de travail temporaire (ETT) devant reculer de 3 % à la même échéance, toujours sous le prisme de l’analyse de Xerfi.

Les avantages que procure le canal « 100 % digital » est indéniable : diminution des coût d’exploitation (frais immobiliers, personnel), automatisation des tâches, disparition de l’intermédiation avec une agence physique et une promesse de tarifs attractifs des prestations : jusqu’à 30 % inférieurs à ceux proposés par les circuits traditionnels du travail temporaire. Néanmoins, le cabinet d’études considère que le potentiel demeure limité.

« L’intérim digital est condamné à rester une niche. S’il correspond aux attentes de certaines entreprises, principalement les grands comptes aux besoins importants, ponctuels et urgents, ce type de prestations est, en effet, loin de répondre aux besoins de tous les clients », évalue Xerfi.

L’exploitation en mode « phygital » et/ou « omnicanal » (le client au centre de toutes les interactions »), pour exploiter la puissance des réseaux physiques des agences associée à des plateformes numériques, suscite bien plus d’intérêt au regard de mouvements de concentration observée comme le rapprochement d’Adecco avec QAPA en 2021 ou de Randstad avec Side en 2022.

« Les études convergent pour indiquer une montée en puissance du numérique », indique Sébastien Archi, Directeur des affaires économiques de Prism’emploi, l’organisation professionnelle des entreprises de travail temporaire et de recrutement (600 membres).

  • « Entre 5 et 10 % de l’emploi intérimaire transiterait déjà par le digital. Bien qu’en croissance, ce phénomène ne remet pas en cause la présence physique des entreprises de travail temporaire. Le nombre d’agences continue même à croître. Il en existe 12 000 sur tout le territoire. Cette proximité avec les entreprises clientes et les candidats est essentielle. Hors des murs de l’agence, les ETT vont à leur rencontre lors de salons et des événements professionnels ;
  • Le mouvement de digitalisation n’est pas nouveau. Il remonte à plus de 20 ans. La dématérialisation des processus a permis de simplifier la relation des ETT avec les clients et les intérimaires. La crise du Covid a généralisé ces usages. C’était une condition de survie pour les ETT qui n’avaient pas franchi le pas. Aujourd’hui, elles ont toutes initié le mouvement, y compris les PME », évoque Sébastien Archi.

Régulation de l’intérim : Prism’emploi dans le rôle de sentinelle

Isabelle Eynaud-Chevalier, déléguée générale de Prism’emploi - © D.R.
Isabelle Eynaud-Chevalier, déléguée générale de Prism’emploi - © D.R.

La vague « d’uberisation » de services digitaux (sur le modèle d’Uber qui a chamboulé le marché des VTC) a fait apparaître de nouvelles plateformes numériques de gestion RH mettant en relation les entreprises et les travailleurs indépendants.

Ces évolutions affectant le marché de l’emploi suscitent des débats dans la filière de l’intérim. Isabelle Eynaud-Chevalier, déléguée générale de Prism’emploi, met en exergue « le système protecteur » de l’intérim. Considéré comme un salarié au sein d’une organisation, un intérimaire dispose d’un statut social et des droits portables d’une enseigne à l’autre.

Staffmatch vs Brigad : un dossier en justice au coeur du débat

• Prism’emploi veille à ce que les nouveaux acteurs n’empiètent pas sur le cadre réglementaire établi. La justice française a déjà été saisi d’un contentieux entre 2 start-ups dans ce sens qui a été examiné jusqu’en Cour de cassation : l’affaire Staffmatch (« agence d’intérim nouvelle génération ») vs Brigad (« mise en relation avec les meilleurs talents »). Cette dernière était accusée de « trouble manifestement illicite en appliquant le droit du Travail relatif aux plateformes de mise en relation par voie électronique plutôt que la réglementation sur le travail temporaire ».
• Le 12 novembre 2020, la Cour de cassation a rendu favorable à Brigad mais le fond du dossier n’est pas clos. Alors qu’en Europe, le travail indépendant, notamment dans un format de freelancing, se développe avec l’éclosion de plateformes de mises en relations directes entre les experts professionnels en solo et les entreprises.

« Les adhérents de Prism’emploi ont un socle éthique et signent un code de déontologie. Nous sommes vigilants à ce que des ’pure players’ du digital ne viennent pas déstabiliser ce modèle », déclare Isabelle Eynaud-Chevalier. « Certains sont sortis du cadre légal et réglementaire en mettant à disposition des micro-entrepreneurs à la place de salariés », considère-t-elle.

  • « Par le passé, les prises de position de Prism’emploi ont pu être déformées. La profession est souvent perçue - à tort - comme prudente voire passéiste et rétive aux évolutions technologiques ;
  • Ces critiques ne sont évidemment pas étayées. La principale qualité attendue d’une ETT est sa réactivité et le secteur est, par nature, énormément attentif aux changements du marché.
  • Il ne s’agit pas d’opposer le digital à l’humain mais de tirer le meilleur des deux mondes. La crise Covid-19 a rappelé combien les moments de convivialité étaient importants », commente la déléguée générale de Prism’emploi.

Pour Prism’emploi, il ne faut pas oublier la vocation de l’intérim à aller vers tous les publics et notamment les personnes éloignées de l’emploi comme les bénéficiaires du RSA.

« La technologie peut être un frein pour ces populations vulnérables. On parle d’illectronisme. Il ne faudrait pas créer une fracture numérique, par exemple en rendant incontournable l’usage d’un smartphone ou d’une tablette numérique. Voilà pourquoi les agences d’intérim sont si importantes. Les ETT constituent un réseau dix fois plus dense que celui de Pôle emploi », évoque  Isabelle Eynaud-Chevalier.

(Dossier réalisé par Xavier Biseul et Philippe Guerrier)