Paie

Gestion paie : les éditeurs software s’activent avec le chômage partiel de masse

Par Philippe Guerrier | Le | Législation paie

Des éditeurs de logiciels de paie comme Sage, HR Path et Payfit se mobilisent pour intégrer les dispositions de l’activité partielle sur les feuilles de salaire.

Les éditeurs de logiciels de paie face à la crise - © D.R.
Les éditeurs de logiciels de paie face à la crise - © D.R.

Sur fond de crise Covid-19 et de confinement, les éditeurs de logiciels de paie ont été mis sous tension avec l’effervescence réglementaire sur des thèmes forts comme l’activité partielle (ou chômage partiel), les règles d’absentéisme liées au coronavirus et le report des cotisations sociales.
Ils ont disposé d’une période d’une quinzaine de jours à partir de la mi-mars pour proposer à leurs entreprises clientes de nouveaux bulletins de salaire intégrant les nouvelles dispositions prises pour alléger le fardeau de la trésorerie d’entreprise.
Depuis le confinement appliqué depuis le 17 mars, le gouvernement a multiplié les dispositifs légaux, juridiques et fiscaux de soutien aux TPE, PME et groupes.
Comment les éditeurs de logiciels de paie ont-ils suivi le mouvement ? Exclusive RH a interrogé trois fournisseurs de logiciels ou de plateformes cloud pour évoquer la mobilisation mise en place : Sage, HR Path et Payfit. Chaque acteur a établi un plan distinct pour accompagner l’évolution du cadre réglementaire et répondre aux nombreuses sollicitations de leurs clientèles respectives.

Sage : « Dégrapher des roadmaps pour renforcer les équipes paie »

Editeur incontournable dans l’univers de la gestion de la paie, Sage dispose d’une gamme de quatre produits pour couvrir « l’intégralité des métiers sur la paie » de la TPE à la PME en passant par les grandes entreprises et les experts-comptables. Chaque mois, Sage France génère 3 millions de bulletins pour le compte de 40 000 à 50 000 clients en France.

« Nous avons établi une task force avec les sachants sur un plan social, juridique et fiscal pour décrypter la loi. Ces services existent depuis longtemps, mais ils ont été fortement mobilisés depuis trois semaines », évoque Guillaume Rejou, Chef de marché paie chez Sage France. Toute cette documentation à décortiquer est exploitée à deux titres :

  • Alimenter les customer services et les professional services (formation, support, assistance, hotline, consulting) pour savoir comment répondre à nos clients ;
  • Travailler sur des supports de communication pour orienter les clients vers l’apprentissage de ses nouveaux dispositifs et la mise en place de ses outils.

« Il ne faut pas que la task force devienne une usine à gaz. Donc nous avons pris des têtes de pont avec des responsables de sujets - légal, professional services, delivery (R&D), services intermédiaires (expérience utilisateur, product owner…), marketing - en vue d’une coordination à plusieurs reprises sur chaque jour. Y compris le week-end si nécessaire. »

La réactualisation a été différenciée en fonction de l’approche logicielle on premise (sur site) qui représente encore la moitié de son offre catalogue et l’approche cloud (mode SaaS).  

  • « Les outils en SaaS pur comme Sage Service Paie ou Sage Business Cloud ont le plus besoin d’automatisation dans la mise à disposition des paramétrages qui modifient les plans de paie. Chaque modification était poussée dans les outils avec des notices explicatives et un système de “warnings”. C’est très important pour donner des détails sur les nouveautés dans la loi. »
  • « Pour les outils on premise mis à jour par les clients qui sont autonomes pour faire la paie, nous ne pouvons pas pousser automatiquement une mise à jour dans leur application. Du coup, nous leur mettons à disposition une fiche technique de paramétrage sur notre base de connaissances par mail et par téléphone et en les orientant vers nos supports digitaux mis à jour en permanence. »

« Le développement des logiciels est réalisé en France avec 200 personnes à Metz, mais aussi des équipes aux Sables d’Olonne, à Annecy. 45 % des effectifs sont à la R&D », évoque Guillaume Rejou. Sachant qu’il existe une équipe par logiciel pour coller aux exigences spécifiques des développements technologiques.

Dans cette période mouvementée de la dernière quinzaine de mars, il a fallu adapter les ressources humaines pour s’adapter à cette montée en charge de l’activité. « Nous avons dégraphé des roadmaps en cours sur des sujets qui n’étaient pas prégnants pour renforcer les autres équipes autour de la paie. Nous étions prêts à proposer les nouvelles feuilles de salaire à nos clients avant la fin du mois de mars car nous avions commencé à travailler bien avant l’activation du confinement », évoque le Chef de marché paie chez Sage France.

« Les forces commerciales de Sage ont été mobilisées pour faire du suivi qualité et de la coordination pour recentrer vers toutes les plateformes susceptibles de donner de l’information à valeur. Ils pouvaient potentiellement se retrouver en congé ou en chômage partiel, mais ils ont été sollicités pour appeler les clients et les orienter vers les bons canaux digitaux. »

Les points d’information sont multiples : base de connaissances, forums, compte Twitter, fil d’actualité dans les applications, mise en place de Sage University (plateforme e-learning et blended learning). « Normalement, ce [dernier] dispositif est couplé aux contrats de maintenance et d’assistance support client, mais, pour la période, nous l’avons ouvert à l’ensemble de nos clients », précise Guillaume Rejou

En termes de support d’assistance (téléphone, chat, mail, forums et compte Twitter), Sage France a observé « des pics à 20 000 contacts par jour dans les derniers jours de mars ».

« Les premiers impactés sont les petites entreprises (artisans, commerçants…). En avançant dans le temps, nous voyons les entreprises d’une dizaine ou vingtaines de salariés qui adoptent le dispositif de chômage partiel. Cela devra être plus flagrant pour les grandes entreprises à partir d’avril. »

« Il a suffi de mettre en place la norme dispositif de chômage partiel qui existe depuis des années. Il s’agit juste d’une extension. Il n’y avait rien de nouveau. 95 % de la norme avait été déjà créé dans nos outils. Mais cela a concerné beaucoup plus d’entreprises qu’auparavant. Les 5 % restant ont été très rapides à mettre en place, même s’il reste encore quelques virgules à modéliser. Nous attendons des précisions du ministère du Travail comme l’adaptation du chômage partiel aux voyageurs représentants placiers (VRP) par exemple. »

Bilan à fin mars/début avril : Sage assure avoir été « dans le timing pour le paiement et la distribution des feuilles de salaires et même parfois en avance ».

HR Path : « La grande majorité des éditeurs ont livré des choses en temps et en heure »

Dans le domaine de la gestion de la paie, HR Path dispose d’une double casquette :

  • 
intégrateur (externalisation de la paie) qui représente la majeure partie de son activité en lien avec des éditeurs de logiciels phares du marché comme SAP, Oracle, Workday, Sage, Silaexpert, Cegid, HR Access (Sopra HR Software) ;
  • éditeur logiciel avec PoweHR notamment.

Sur le premier volet, Marc Dedei, responsable Univers Paie (externalisation paie) de HR Path, dispose de 750 clients de toutes tailles (de la TPE à la grande entreprise) et d’un effectif de 150 personnes.

« Nous pouvons être en frontal pour la réactualisation des logiciels ou à travers une filiale d’intégration chez nous. Nous sommes en relation avec les éditeurs directement ou indirectement. Entre les interprétations d’un SAP ou d’un Sage qui vont nous livrer un patch pour la partie légale ou d’un Silae qui va rajouter une couche de conventions, l’analyse n’est peut-être pas la même car des éléments d’appréciation demeurent flous en l’état actuel et ils devront encore être précisés en avril », précise Marc Dedei.

« La grande majorité des éditeurs ont livré des choses en temps et en heure avec les éléments et les interprétations dont ils disposaient. Il y aura des réactualisations voire des régularisations en avril. Du coup, nous nous attendons à un mois d’avril aussi chargé voire plus que celui de mars », évoque notre interlocuteur chez HR Path.

Par exemple, sur le volet de la régularisation de l’activité partiel, la question du remboursement deviendra prégnante. Rappelons le principe : durant cette période, l’employeur verse une indemnisation au salarié placé en position d’activité partielle. L'État garantit à l’employeur une prise en charge partielle de l’indemnisation des heures chômées. Pour HR Path, il ne faut pas rater le coche. « Quel que soit les outils des éditeurs, nous regardons si des fichiers pré-formatés seront diffusés ou si nous devons monter nous-même des systèmes de requêtes qui permettront de justifier auprès de l’administration les activités partielles de chaque personne. Pour l’instant, c’est nous qui les faisons. »

En termes de relation client, le pendant d’activité d’intégration de la société technologique recense « des pointes de 30 % à 50 % de requêtes par jour en plus » par rapport à une période normale. « Aujourd’hui, j’ai des équipes en surchauffe qui font face à ces éléments-là », évoque Marc Dedei. Sachant que la société dispose de plateaux installés par outil logiciel et par typologie de clients…mais ces espaces sont virtuels actuellement puisque tous les conseillers clients et de support technique ont basculé en télétravail avec le confinement. « Nous ne pouvons pas monter un updesk de zéro sur des sujets aussi techniques que la gestion de la paie. Du coup, nous avons gardé la même organisation, mais c’est un sujet à méditer post-crise. »

Cette période d’adoption du télétravail en masse et à pas forcés a servi aussi de tremplin pour développer l’usage d’outils de communication comme Skype, Microsoft Teams ou Zoom. « Même nos clients s’y mettent de plus en plus », esquisse Marc Dedei.

Parallèlement, Delphine Duquerroy, Responsable du pôle HR Path Software pour le développement des logiciels maison dont PoweHR, fait la distinction entre les clients qui ont la solution hébergée chez eux et ceux qui préfèrent déléguer la gestion de l’hébergement de la solution. Sur la partie paie dans le secteur privée, cela représente un portefeuille de 70 et 80 clients.

« Pour les clients qui hébergent la solution, nous leur transmettons l’interprétation et l’étude de chacun des textes de loi que nous avons lus et analysés. Nous leur transmettons des procédures d’un point de vue métier et également d’un point de vue mise en œuvre dans le produit. Avec les clients pour lesquels nous hébergeons les solutions, nous prenons en charge le déploiement des paramètres. »

L’attention vis-à-vis des clients est décuplée au regard des modifications importantes apportées sur les feuilles de salaire. « Il faut prendre en compte les accords d’entreprises et de branches. Nous avons planifié les assistances en se calant sur le cycle de paie et sur les urgences de chacun. »

Les réponses sont à nuancer en fonction des configurations. « 50 % des clients sont complètement autonomes sur la mise en place. 30 % d’entre eux ont demandé de l’assistance pour mettre en place le volet réglementaire et 20 % d’entre eux disposaient d’une procédure standardisée. »

Au niveau de l'équipe du pôle HR Path Software, une douzaine de personnes avait été mobilisée pour superviser cette opération de réactualisation des feuilles de paie, y compris le week-end. En termes de relation client, un outil de ticketing en interne a été privilégié avec des relais d’échanges par mail ou par téléphone si nécessaire.

Delphine Duquerroy a recensé entre 30 et 50 demandes par jour sur les 15 derniers jours de mars (contre 15 à 20 demandes dans une période classique). Sur la génération des feuilles de salaires, « quelques clients ont légèrement décalé cette opération d’un ou deux jours, en attendant d’avoir des réponses sur les solutions validées en interne ».

Il y a encore plusieurs sujets en suspens autour de l’activité partielle du point de vue de la Responsable du pôle HR Path Software. « Nous avons retardé certains sujets sur lesquels nous n’avions pas de confirmations pour les apprentis ou les contrats de professionnalisation qui sont arrivées un peu plus tard. »

Sous un autre angle, la question de l’écrêtement de la CSG « est compliquée avec des règles interprétées de manière différente en fonction des clients ». Il y a aussi d’autres traitements à venir comme les clients en paiement à la moitié du mois d’avril. « Il y a des clients importants sur le sujet », suggère notre interlocutrice.

Payfit : « Des clients ont dû décaler l’édition des feuilles de salaires »

Comment gérer cette période mouvementée chez un acteur pure player dans la gestion des bulletins de paie comme Payfit ? Mathieu Bernard, le DG France de la start-up HRTech, synthétise l’approche de la manœuvre : « La densité et la rapidité d’exécution ont été des facteurs clés ».

« Le mode branle-bas de combat » a été enclenché le jeudi 12 mars avec l’adresse aux Français du président Emmanuel Macron avec des sujets comme 

  • recours massif à l’activité partielle (nous sommes impactés car directement intégré en paie) ;
  • la mise en place de nouvelles absences liées au coronavirus (nous sommes tiers déclarants pour nos clients et donc en lien avec les organismes de gestion des cotisations sociales pour intégrer les différents types d’absences) ;
  • la modulation/report des cotisations (il a fallu accompagner les clients sur le sujet).»

Dès vendredi matin (13 mars), une cellule de crise ou task force a été établie pour s’assurer des bonnes orientations prises. « J’y participais avec trois personnes référentes côté produit, service clients, communication », relate Mathieu Bernard. L’objectif était que la paie et la facturation soient « le moins possible une source de stress » pour les 3000 clients de Payfit (souvent des PME).

« A partir du 14 mars, nous savions que deux semaines de développements nous attendaient : 

  • Il a fallu mettre des équipes de développeurs directement sur le sujet ; 
  • s’assurer que nos équipes expertes pour le légal et le juridique soient directement pluggées à tous les textes d’Etat et d’ordonnances à récupérer ; L’appui de l’association SDDS, qui regroupe des éditeurs de logiciels et prestataires de service spécialisés dans les domaines financiers, fiscaux, sociaux et des ressources humaines (simplification, dématérialisation…), a été précieux sur ce point ;
  • faire ressortir la documentation en éléments compréhensibles par nos développeurs. C’est un peu le travail en coulisse en back-office. »

Sans réelle surprise, la mise à l’échelle de l’activité partielle est devenue une priorité. « En moyenne sur un mois classique, nous générons 60 000 bulletins de salaire dont 5 à 10 bulletins intégrant une dimension d’activité partielle. En mars 2020, tout a changé : 50 % de nos clients ont adopté le chômage partiel. La gestion de l’activité partielle établie auparavant n’était plus adaptée à la nouvelle situation de masse. » Quant aux demandes d’absences, elles ont été multipliées par quatre sur le mois de mars. Là aussi, l’équipe dédiée a ressenti une montée en charge de son activité. Sur le volet du report des cotisations, 60 % de nos clients l’ont demandé.

« Jusqu’au 15 avril, nous sommes sur le pont pour que les éléments de cotisation soient bien communiqués auprès des organismes », indique Mathieu Bernard.  « On a repriotisé les objectifs dans la roadmap produit. Le core du produit était prêt et codé », assure le DG France.

Le développement et le déploiement des nouveautés auraient été facilités par le langage propre de programmation de Payfit (JetLang). Parmi les outils de prédilection de la start-up figure la plateforme collaborative Slack qui a été déployée en interne pour le suivi direct de l’évolution des projets en fonction des responsabilités.

Côté relation client, Payfit a dû monter un dispositif spécifique pour accompagner la montée en charge liée à la période d’effervescence réglementaire. En guise de diffusion d’information, des sessions d’explication en mode webinar ont été mises en place pour expliquer le fonctionnement du chômage partiel par exemple.

Plus sensible : « Il a fallu expliquer à nos clients qu’ils ne devront pas générer leurs feuilles de salaire avant le 30 mars en raison des développements et des dispositions légales à intégrer », évoque Mathieu Bernard. « Un tiers de nos clients génèrent leurs feuilles de salaires avant le 30 mars, mais ils ont dû décaler ce travail en raison des aménagements. En amont, une semaine avant le développement, nous avions averti ces clients qu’il fallait attendre pour prendre en compte l’adaptation de la feuille de salaire avec le chômage partiel. Globalement, les clients comprennent bien la situation et montrent une certaine patience. »

Inévitablement, les demandes de support ont doublé voire triplé. « Nous avons recensé plus de 1000 tickets par jour récemment [sur une période de 5 à 6 jours, du lundi 30 mars au vendredi 3 avril] alors que l’on tourne vers 300 par jour en période traditionnelle », évoque Mathieu Bernard. Il a fallu appeler du renfort. « Les équipes en charge de l’intégration et de la formation, moins sollicitées vu le contexte actuel de business, sont venues prêter main forte pour désengorger l’équipe relation clients », évoque le manager.  En tout, une centaine de personnes ont été mobilisées au lieu d’une cinquantaine en direct dans une période classique.

« Nous fournissons des réponses essentiellement par mail et par rendez-vous téléphoniques pour des cas spécifiques avec un référent technique ou juridique. Nous avons exclu le canal de support par session chat. En termes de volumes en entrée, ce serait ingérable. Les sujets sont parfois tellement techniques. Nous avons besoin de recul pour rechercher l’information et fournir une réponse la plus pertinente possible. En amont, nous avions indiqué à nos clients que notre délai de réponse classique (un peu moins de deux heures) serait plus long en raison du volumes de requêtes à gérer. »

Quel que soit l’éditeur software interrogé, l’avis est partagé : après la dernière quinzaine de mars, le mois d’avril sera probablement plus chargé au regard de ce bulletin de salaire qui est reconfiguré à l’ère de la crise économique.