Formation

Webinar e-Think RH : accompagner les transformations des formations (synthèse et vidéo)

Le | Droit de la formation

Découvrez la table ronde 3 de la session e-Think par News Tank RH de décembre 2020. Un débat alimenté par Rémi Boyer (Korian), Jean-Pierre Willems (expert) et Thierry Teboul (Afdas). Bonus : la vidéo intégrale en replay

Pour cette période de Noël, RH Matin vous propose un récapitulatif des tables rondes organisées le 15 décembre 2020 dans le cadre du programme e-Think de notre partenaire média News Tank RH, ainsi qu’un accès à la session de rattrapage vidéo.

Les échanges ont été alimentées sous cette grande thématique « Crise sanitaire et télétravail : révélateur ou accélérateur de transformation majeures »

Le panel de la troisième table ronde e-Think

Lors de la première table ronde organisée entre 16h00 et 17H00 en webinaire, trois experts RH ont abordé le sujet suivant : Gestion de la crise : accompagner les transformations par la formation ?

Rémi Boyer, DRH et directeur RSE du Groupe Korian ;
Thierry Teboul, Directeur général de l'Afdas et co-auteur du Grand Livre de la formation (éd. Dunod)
Jean-Pierre Willems, Expert de la formation professionnelle - analyste pour News Tank RH.

« Avec notre CFA d’entreprise, nous prenons notre autonomie » (Rémi Boyer, DRH et directeur RSE, Korian)

« Si l’on veut se “dérisquer” par rapport à l’effet ciseau démographique (l’augmentation du nombre de personnes âgées et la baisse du nombre de personnels soignants), il faut trouver d’autres manières de recruter. Nous avons donc souhaité définir une stratégie de recrutement qui devait nous permettre aussi de lutter contre deux fléaux : le turn-over et l’absentéisme (chez Korian, nous recrutons environ 5.000 CDI par an, la moitié est composée d’aides-soignantes). »

« Dans le même temps, il y a environ trois ans, nous avons fait le constat avec la DRH Nadège Plou que le système d’apprentissage était très faible en termes de volumes. En France, en 2017, il y avait 600 apprentis aides-soignants sur l’ensemble du territoire. Lorsqu’il a été possible de créer un CFA d’entreprise, nous avons sauté le pas. »

« Nous avons lancé deux initiatives :

  • La première est un CFA hors les murs [avec l’Afpa], le CFA des Chefs, avec : Accor, Accorinvest, Groupe Adecco et Sodexo qui démarre le mois prochain avec une première promotion de près de 300 apprentis cuisiniers ;
  • La deuxième est la création de notre propre CFA du Soin qui démarre aussi en janvier 2021. Avant, nous avions des classes dédiées d’apprentis en partenariat avec la Croix-Rouge qui reste le premier organisme de formation des infirmières et des aides-soignants en France. »

« En créant notre propre CFA, nous avons pris notre autonomie. Nous sommes partis de 150 apprentis Korian il y a trois ans et nous avons 500 apprentis en 2020. Nous visons l’effectif de 1.000 apprentis à horizon fin 2023. »

« Les tuteurs constituent l’enjeu majeur de l’apprentissage. C’est un des points du système qui reste encore fragile. L’entreprise doit avoir une politique de tutorat bien préparée avec une formation, des primes, etc. Il ne faut pas se lancer dans l’apprentissage sans avoir cadré cette fonction. C’est ce qui marche bien en Allemagne. »

« Créer un CFA d’entreprise à condition d’avoir un besoin dans la durée » T. Teboul, DG de l’Afdas 

« À chaque fois qu’une de nos entreprises souhaite créer son propre CFA, nous lui conseillons de vérifier que le besoin s’inscrit dans la durée. Pour un besoin ponctuel de CFA, il vaut mieux s’adresser à un CFA existant. Nous avons accompagné Orange qui avait un sujet fibre, un sujet 5G, un sujet Cyber sécurité : cela peut justifier la création d’un CFA en propre. En revanche, sur tous ses métiers transverses, le groupe continue de travailler avec des CFA interprofessionnels. La question du geste métier est un autre sujet important. S’il existe une “Korian touch”, il faut qu’elle puisse être véhiculée, y compris dans l’ADN des personnes qu’on forme. Il y un joli sujet autour du caractère à la fois générique du diplôme préparé par l’apprentissage et de la singularité de l’exercice du métier dans une entreprise précise. »

« La Fédération française de Tennis s’est lancée dans un CFA interne. C’est important au moment où le tennis se développe de plus en plus dans un cadre privé et en dehors du cadre fédéral. Il faut donc démontrer le “plus” des moniteurs de la Fédération. Ils ne sont pas là juste pour enseigner un geste technique de tennis mais ils participent de l’affiliation à un club. »

« Le CFA d’entreprise pose aussi la question de la fonction sociétale de l’entreprise. Elle a une mission d’insertion des jeunes. Le nombre important de jeunes sans emploi est une bombe à retardement. On peut traiter cette question sous l’angle de la politique de la ville mais aussi sous l’angle de l’emploi. Nous avons accompagné la constitution du CFA “2023 apprentis” dans le cadre de la Coupe du monde de rugby 2023. L’idée consiste à se projeter dans la durée : la Coupe du monde laissera en héritage 2023 professionnels pour les clubs de rugby et pour l’ensemble du monde sportif. »

« Un apprenti ne peut pas être simplement une force supplétive. Il faut mettre en place un dispositif d’accompagnement de qualité, sinon, l’effet de fidélisation ne marchera pas. Il faut aussi former les apprentis pour une employabilité durable et pour cela, il faut être vigilant sur la question de la diplomation. L’apprentissage est d’abord le moyen de préparer un diplôme pour trouver un emploi. Il faut donc que les entreprises accordent une attention particulière au diplôme préparé et au fait que les jeunes l’obtiennent bien. »

« Nous allons tous devoir nous former plus souvent et moins longtemps. Il vaut mieux donc que la formation initiale soit solide et que le socle de compétences dispensées intègre suffisamment de choses pour que derrière, on puisse revenir en formation sans passer par la case “Pôle emploi” parce que c’est coûteux pour le pays et la personne qui se retrouve exclue du marché du travail. C’est pour cette raison que je tiens à la distinction entre le contrat de professionnalisation qui relève de la formation continue et le contrat d’apprentissage qui s’inscrit dans le champ de la formation initiale. »

« On n’a pas fini de voir la vague de créations de CFA d’entreprises » (J-P Willems, expert)

« Tous les projets de création de CFA d’entreprise que j’ai accompagnés reposent souvent sur des besoins de même nature :

  • des métiers en tension,
  • des gros volumes de sourcing et de recrutements à faire,
  • Une marque employeur à valoriser.

Je suis frappé de voir que, entre le lancement du projet, sa réalisation et son déploiement, les entreprises s’aperçoivent que le projet va toujours au-delà de ses objectifs initiaux.

C’est un projet à impact plus fort que le seul projet de recruter, parce qu’il impacte le rapport à la formation, la culture d’entreprise, toutes les entités (le management et les salariés). Les apprentis formés sont des salariés de l’entreprise et cela change assez fondamentalement le rapport des salariés à la formation. »

« Aujourd’hui, j’ai presque autant de projets de CFA d’entreprise en cours que d’entreprises qui se posent la question d’en créer un. Je pense qu’on n’a pas fini de voir la vague de création de CFA d’entreprise. Ce n’est pas une opportunité mais une possibilité qui a été ouverte et qui correspond à des besoins récurrents dans certains secteurs. Il y a des conditions de faisabilité : dans certains cas, j’ai réalisé des études d’opportunité qui ont montré que le CFA n'était pas la bonne solution. Mais quand les conditions sont réunies, cela a incontestablement des effets dans le positionnement vis-à-vis du marché de la formation, même lorsque le CFA d’entreprise est 100 % sans mur. »

« Les CFA d’entreprise vont contribuer à la descolarisation de l’apprentissage à partir du moment où ils n’ont pas les mêmes méthodes, où ils créent un rapport différent à la formation et à l'éducation. Je pense que c’est ce chemin-là que les entreprises contribuent à ouvrir. Pour descolariser, le ministère du Travail a fait le travail. Il reste aux autres ministères - à l'Éducation nationale et au ministère de la Santé notamment - à effectuer cette transformation en révisant certains référentiels notamment pour permettre de prendre en compte les acquis, les parcours, l’individualisation, la personnalisation. Ces ministères restent aussi totalement calés sur les parcours scolaires. »

Retour nécessaire du financement mutualisé

« L’investissement formation est d’une nature particulière. Celui qui investit, le fait sur autrui (l’investissement appartient à l’autre). Un CFA d’entreprise forme des apprentis qui vont peut-être quitter l’entreprise. L’investissement public justifie donc l’effort qui a été fait sur l’apprentissage par l’entreprise », déclare Jean-Pierre Willems. « Cela signifie qu’en formation, l’investissement doit être multiple. Il ne peut pas reposer sur une responsabilité unique. Lorsque l’individu développe ses compétences, il doit trouver une entreprise pour donner une valeur d’usage à son investissement sinon il investit à perte. »

« On a donc une question d'équilibre à trouver sur la part qui revient à chacun puisque la dépense de formation doit reposer sur des multi-financements. Elle ne peut pas être dans une logique exclusive dans la mesure où la compétence est à la fois un bien privé mais à usage d’intérêt général qui peut aussi être une politique publique. C’est peut-être de cette manière qu’il faut envisager le débat sur la mutualisation. »

« Il faut aussi poser la question de la participation des branches, en particulier celles qui ont de forts turn-overs. Ce ne serait pas absurde qu’il y ait une mutualisation conventionnelle qui viendrait en soutien. »

« On est en train de revenir sur quelque chose que l’on croyait immuable c’est-à-dire, la possibilité de faire financer par du conventionnel le coût par apprentis », indique Thierry Teboul. « Un projet de décret est au Conseil d'État depuis hier [le 14/12/2020] qui va donner la possibilité de mobiliser des fonds conventionnels pour financer de l’apprentissage. Sur le fond, c’est invraisemblable car on va financer, avec de l’argent de la formation continue, de la formation initiale. »

« Cela a le mérite d’acculturer tout le monde au co-financement. Dans les secteurs du sport et de la culture qui sont profondément ravagés par la crise sanitaire, j’ai observé deux périodes distinctes au cours des 6 derniers mois :

  • Une période qui était du FNE financé à 100 % avec des formations occupationnelles.
  • On entre dans une deuxième phase où le FNE pris à 100 % est en train de disparaître. Cela devient très intéressant car les entreprises se posent davantage de questions sur le type de formations et sur les politiques de co-construction.

En cette période, l’ingéniosité de l'État va consister à remettre de l'équilibre dans les financements et à essayer d’organiser des passerelles.

Le fait que des branches puissent abonder les coûts par apprentis non couverts par les coûts de France compétences (projet de décret) est le début d’une nouvelle phase dans le domaine du financement. »

Le nouveau dispositif « Transitions Collectives »

« La question des transitions collectives n’a pas été bien traitée dans la loi du 05/09/2018. C’est bien qu’elle revienne dans le débat. Pour le moment, nous n’avons pas d’information sur les modalités pratiques de ce nouveau dispositif qui aurait vocation à être pérennisé, selon la ministre du Travail », déclare Thierry Teboul. « Je trouve assez intéressant que les branches soient capables d’identifier les métiers menacés d’un côté et les métiers en tension de l’autre, et que l’on organise un dispositif qui permette de rendre adéquationniste le marché du travail qui ne l’est pas. »

« Mais attention au fantasme de la flexicurité qui voudrait qu’un salarié d’un secteur passe à un autre secteur. Si cela peut fonctionner au Danemark, je ne suis pas sûr que cela fonctionne aussi bien en France. »

« Je suis moi aussi un peu interrogatif sur ce dispositif de Transitions Collectives qu’on veut pérenniser avant même qu’il soit créé », indique Jean-Pierre Willems. « Mais il y a deux choses intéressantes dans ce dispositif :

  • Il va obliger à redécouvrir les territoires. C’est un angle mort de la réforme qui est nationale et centralisée alors que l’emploi est sur les territoires. Mais on sait aussi que les reconversions s’effectuent dans un rayon de 25 à 30 km au maximum. C’est sur cette maille-là qu’il faut travailler. 
  • On a construit la réforme sur le projet des individus : le CEP pour les accompagner, le bilan de compétences, le projet de transition professionnelle, le CPF à leur disposition, donc on peut accompagner l’individu dans son projet de reconversion.
    • Dans les Transitions Collectives, le point de départ est inverse : c’est un diagnostic sur une situation d’emploi à un moment donné et après, on verra les personnes qui peuvent s’inscrire dans les parcours. Je trouve que c’est intéressant d’avoir deux approches différentes. »

Selon Rémi Boyer, « il faut faire évoluer la culture de la mobilité dans notre pays où on ne bouge pas tellement ». « Comme tout DRH, cela fait longtemps que je fais des plans de départ et des recrutements à la fois. Chez Korian, nous sommes plutôt sur le recrutement que sur le départ, néanmoins, comment faire pour que ceux qui donnent et ceux qui reçoivent se parlent mieux ? La pandémie a des conséquences sociales que personne ne pouvait estimer mais ce vieux sujet des restructurations, on le connaît. La transformation des entreprises a toujours pour corollaire une adaptation de l’emploi d’une manière ou d’une autre. Il y a la GPEC interne, externe sécurisée, les prêts de main d’oeuvre, mais il y a peut-être un nouveau canal à trouver pour des entreprises qui ont envie de travailler ensemble, de créer des passerelles. Les “Transitions collectives” vont peut-être y aider. »

« Nous avons constitué un groupe de 4 ou 5 entreprises pour se parler : est-ce que le chauffeur de bus de Transdev âgé de 45 ans et habitant dans une petite ville autour de Lyon n’aurait pas envie de trouver un métier dans le soin qui aurait du sens pour lui ? Il faut bâtir des ponts et ce n’est pas très compliqué à mettre en place, d’autant plus que la réforme de la formation de 2018 permet déjà de le faire. »

« Korian peut former des personnes qui ne viennent pas du soin grâce à un système de parcours de transition professionnelle que nous sommes en train d'écrire nous-mêmes avec des modules digitaux, de la VAE. »