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« Nous prévoyons un retour en force des écoles de bonnes manières »

Le | Gpec

Ingénieur data-déchets, consultant en agriculture verticale, designer de personnalité des machines, coach en joie : voici quelques-uns des 21 jobs de la prochaine décennie d’après le centre de recherche pour le futur du travail du cabinet Cognizant, qui a publié deux rapports successifs. Nos questions à son directeur, le prospectiviste Ben Pring, qui lance des pistes, parfois iconoclastes, aux professionnels RH

« Nous prévoyons un retour en force des écoles de bonnes manières » - © D.R.
« Nous prévoyons un retour en force des écoles de bonnes manières » - © D.R.

Selon une étude publiée en juillet 2017 par Dell et l’Institut pour le futur, 85 % des emplois de 2030 n’existeraient pas encore. Quels sont les métiers auxquels on s’attend le moins ?

Contrairement aux idées reçues, tous les métiers de demain ne seront pas forcément liés aux sciences informatiques. Dans nos dernières études, nous avons classé les emplois du futur en fonction de leur « tech-centricité ». Parmi les jobs très peu techniques qui offrent un fort potentiel de développement, le ‘marcheur-parleur’ [walker-talker], par exemple, répondra au besoin grandissant d’accompagnement des seniors ou des personnes isolées. A la manière d’un chauffeur Uber, n’importe quel travailleur souhaitant avoir un complément de revenus pourra converser ou se promener quelques heures avec un senior en situation de solitude, grâce à une plateforme de mise en relation. À l’inverse, le métier de « cyber attack agent » nécessitera de très fortes compétences techniques. Nous observons que les états et les entreprises dépensent beaucoup d’argent pour se défendre contre les attaques informatiques, qui n’ont jamais été aussi nombreuses. Autrement dit, la posture défensive de la cybersécurité ne fonctionne pas. L’arrivée de « cyber attack agents » est un changement de paradigme : avec cette nouvelle génération de cyber-soldats, l’approche deviendra offensive. 

Constatez-vous une évolution entre les deux rapports que vous avez publiés ? 

Entre la publication du premier et du second rapport, nous avons eu la surprise de constater que certains jobs que nous avions imaginés étaient déjà devenus réalité sur le marché du travail. C’est le cas par exemple du ‘coach en bien-être financier’. Une grande entreprise américaine cherche désormais à recruter ce genre de profils : des consultants capables d’aider les gens à se sentir mieux dans leur rapport à l’argent, à les conseiller en termes d’épargne ou d’investissements. Autre différence : dans notre seconde étude, beaucoup de nouveaux métiers sont liés à l’éthique. Pour utiliser de manière responsable les technologies de reconnaissance ou d’intelligence artificielle, les entreprises doivent pouvoir s’assurer que leurs agissements sont éthiquement corrects. Jusque-là, chaque service pouvait porter cette responsabilité à son niveau : le DAF était garant de cet aspect pour la partie financière, le directeur juridique pour la partie légale, etc. Nous pensons que, demain, les entreprises auront besoin d’un ‘chief ethical officer’ pour organiser et superviser cette démarche. 

Quelles compétences seront cruciales pour répondre à ces nouveaux besoins ?

Elles peuvent se classer en deux catégories. Les hard skills technologiques de pointe tout d’abord, comme les dernières versions des langages Python ou C++. Mais également toutes les compétences humaines les plus basiques : savoir dire merci et s’il vous plaît, arriver à l’heure, regarder les gens dans les yeux - et ne pas rester collé à son téléphone. Négligées depuis 10 ou 20 ans, ces compétences vont redevenir centrales. Face à des robots capables de traiter de plus en plus de tâches transactionnelles, la qualité des interactions humaines sera clé. L’essence même d’un vendeur, par exemple, consistera à être sympathique, digne de confiance, ponctuel, etc. Nous prévoyons d’ailleurs un retour en force des écoles de bonnes manières dans les années à venir.

Comment les responsables de formation peuvent-ils se préparer à ces changements ?

Pour se former, les collaborateurs n’ont pas forcément besoin d’une salle de classe ou de créneaux de temps dédiés sur leur temps de travail.  En ce qui concerne les compétences techniques, de plus en plus de contenus de formation de très haute qualité sont disponibles gratuitement en ligne. Les responsables de la formation conçoivent des plans de formation sophistiqués et compliqués qui coûtent très cher, alors qu’ils devraient plutôt encourager une approche « do it yourself ». Dès lors qu’ils sont intéressés, les salariés peuvent se former dans les transports, pendant leur pause déjeuner, ou même le week-end. Le rôle d’un responsable de la formation devrait être celui d’un impresario : prescrire et promouvoir des contenus de formation existants plutôt que d’être seulement dans la gestion et le contrôle. 

Gaëlle Fillion