Qvt

Clément Merville, Manzalab : « Le corporate metaverse, un enjeu pour le futur du travail »

Par Philippe Guerrier | Le | Workspace

Salon Virtuality 2022 : dans un entretien, le CEO de Manzalab aborde la vision du corporate metaverse ou comment les entreprises investissent ces espaces immersifs avec des initiatives collaboratives et RH.

Clément Merville, CEO Manzalab (salon Virtuality Paris, 2022) - © D.R.
Clément Merville, CEO Manzalab (salon Virtuality Paris, 2022) - © D.R.

Spécialiste des environnements immersifs (formations virtuelles, serious gaming…), Manzalab explore des pistes innovantes pour développer la dimension collaborative pour le compte des entreprises en exploitant la réalité virtuelle ou réalité augmentée depuis 10 ans.

Avec ses équipes installées entre Paris, Aix-en-Provence et Singapour, la société technologique a pris ses marques dans le corporate metaverse en proposant une technologie dédiée (Teemew) et des premiers cas clients comme le campus virtuel de l’entreprise de services numériques Sopra Steria qui a été présenté lors du récent Salon Virtuality organisé du 17 au 18 mars 2022 à Paris. 

Clément Merville, CEO et cofondateur de Manzalab, précise la vision et la démarche pragmatique.

Pourquoi les acteurs de la réalité virtuelle scrutent le potentiel des metavers ?

A l’origine du métavers

• Il faut revenir à la genèse du mot métavers, raccourci de méta (« au-delà » en grec) et univers, ou metaverse en anglais. Le mot est inventé en 1992 par l’auteur américain de science-fiction Neil Stephenson dans son roman Le samouraï virtuel.
• Une vision que l’on retrouve avec Mark Zuckerberg qui a changé le nom de son groupe Facebook en Meta en novembre 2021 et qui a racheté en 2014 Oculus du nom d’un spécialiste de la réalité virtuelle connu pour ses casques VR.
• On retrouve aussi l’approche avec Ready Player One, un roman de science-fiction écrit en 2011 par Ernest Cline qui a connu un grand succès avec l’adaptation au cinéma de Steven Spielberg en 2018 et qui a inspiré Palmer Lucky, fondateur d’Oculus.

La création de Manzalab remonte à 2010 avec mes associés Vincent Berlioz et Emmanuel Le Gouguec. Nous sommes originaires du jeu vidéo avec la ferme intention de décliner l’expérience de réalité virtuelle pour le compte des entreprises. Nous avons développé des serious games adaptés au monde de la formation et exploré le concept de monde virtuel - aujourd’hui métavers - depuis 7 ans.

En l’état actuel, il n’existe aucune différence entre le métavers et le monde virtuel Second Life qui avait émergé début 2000. On se concentre sur la création d’univers virtuels persistants en communicant par le biais d’avatars personnalisés. Mais la promesse à terme avec le métavers est de briser les frontières et de favoriser l’interopérabilité entre les mondes virtuels.

Chez Manzalab, nous avons une autre approche orientée corporate metaverse :

  • la réalité virtuelle ne veut pas forcément dire divertissement. Elle concerne aussi les entreprises. 
  • l’usage d’un casque de réalité virtuelle n’est pas essentiel dans notre vision. Nous avons avancé dans ce sens pendant 10 ans chez Manzalab et nous en connaissons désormais les limites.

L’approche Web par le navigateur Internet permet de dépasser ce plafond de verre. Avec notre technologie Teemew (« We Meet » à l’envers) mise à disposition des entreprises, nous voulons que les métavers soient le plus accessibles possibles sur tous les écrans.

Notre architecture, qui s’appuie sur la couche logicielle WebGL disponible sur le navigateur Google Chrome par exemple, est prévue pour soutenir un accès illimité.

  • Courant 2022, nous la déclinerons sur smartphones et tablettes.
  • D’ici fin 2022, nous la proposerons sur Microsoft Teams.

Quels sont les enjeux autour du corporate metaverse ?

La crise Covid-19 a servi de période de bascule, même si l’approche de la réalité virtuelle est élitiste c’est-à-dire plutôt adressée des groupes du CAC 40 avec le recours à des casques virtuels.

Nous avons pris conscience qu’il fallait démocratiser l’accès à la réalité virtuelle à travers notre plateforme Teemew. En 2020, nous l’avons déclinée pour les ordinateurs (PC et Mac) et les écrans plats à partir d’un exécutable [logiciel]. Maintenant, nous proposons une version 100 % Web via le navigateur.

Avantage de notre solution corporate metaverse : elle ne sollicite aucune ressource data center. Tout est exploité en local sur le terminal de l’utilisateur.

Nous sommes la seule solution professionnelle de métavers capable d’accueillir autant de monde. Hier [16/03/2022], nous avons organisé un événement virtuel avec Dassault Systèmes réunissant 1.400 personnes et nous avons observé des pics à plus de 400 personnes connectées en simultané.

L’enjeu, c’est le futur du travail. Nous y sommes déjà avec l’essor du télétravail sur fond de crise Covid-19. Nous ne reviendrons pas en arrière en terme d’organisation du travail. Mais les entreprises devront se réorganiser en profondeur.

Microsoft a résumé cette transformation par « hybrid work paradox ». 

  • La notion « d’hybride » sert à souligner la distinction entre l’activité professionnelle au bureau et à domicile.
  • « Paradox » sert à démontrer que, malgré l’envie de flexibilité dans l’organisation du travail, le lien d’appartenance avec l’entreprise et le contact avec les équipes et les collègues sont aussi importants.

C’est important de capitaliser sur le sentiment d’attachement dans cette période de mouvements. 45 % des répondants considèrent qu’ils ont « moins de raisons de vouloir rester dans l’entreprise actuelle », selon une récente étude Microsoft.

Dans cette approche corporate metaverse, la notion de présence virtuelle est importante. L’objectif est de recréer un sentiment de présence réelle dans un environnement virtuel et de retrouver le plaisir et la sensation de retrouver ses collègues.

Etudiée en sciences cognitives, la présence virtuelle repose sur trois leviers :

  • le sentiment de présence de soi,
  • le sentiment de présence spatiale,
  • le sentiment de coprésence virtuelle (les interactions virtuelles avec les autres).

Dans quelle mesure le corporate metaverse pourrait servir à renforcer les liens entre les collaborateurs et les entreprises ?

Il renforcerait surtout le lien qui s’est délité entre les collaborateurs avec l’organisation du travail hybride. Des usages concrets et pertinents commencent à émerger avec Teemew et le corporate metaverse :

  • Sopra Steria Academy (organisme de formation interne de l’ESN) a monté un campus virtuel établi  qui a permis d’accueillir 1400 nouveaux collaborateurs lors d’un séminaire d’onboarding  réalisé à distance. Un parcours balisé sur deux jours a été établi avec des animations d’ateliers, du networking et des rencontres informelles sur la plateforme virtuelle.
  • une grande banque française travaille Manzalab avec notre technologie Teemew depuis un an.
  • le groupe SNCF, EDF ou Capgemini. Les stades de développement sont variables entre « POC + » ou projets plus avancés.

Salon Virtuality Paris 2022 : Adrien Keruzore, Digital Learning Manager, Sopra Steria Academy, présente le campus virtuel de l’ESN - © D.R.
Salon Virtuality Paris 2022 : Adrien Keruzore, Digital Learning Manager, Sopra Steria Academy, présente le campus virtuel de l’ESN - © D.R.

D’ici la fin de l’année, nous serons en mesure d’intégrer Teemew directement dans Microsoft Teams. Actuellement, nous montons des expérimentations dans ce sens en interne.

Ensuite, nous pourrons laisser la main aux entreprises clientes pour monter leurs propres métavers et basculer les traditionnelles visioconférences dans des univers immersifs avec des avatars 3D personnalisés aux profils réalistes des participants, qui pourront intégrer leurs photos 2D.

Comment commercialisez-vous les modules de corporate metaverse ?

Nos principaux interlocuteurs sont souvent les directions de l’innovation. Nous fournissons une plateforme en marque blanche qui est personnalisée en fonction des besoins en quelques jours.

C’est comme une plaque sur laquelle on pose des briques LEGO pour faire des constructions ludiques. Sous un autre angle, cela ressemble au jeu vidéo Minecraft de construction d’environnements virtuels.

  • Avec Teemew, nous faisons payer un abonnement sur la capacité d’accueil d’invités - par mois ou par jour en cas d’approche événementielle - dans le corporate metaverse.

Nous travaillons par exemple avec Kwark Education qui a monté son métavers METAKWARK destiné aux entreprises, fédérations, institutions, CFA, écoles et organismes de formation.

  • Une fois l’intégration dans Teams réalisée, le modèle tournera autour du nombre d’utilisateurs inscrits pour s’aligner à celui de la plateforme collaborative de Microsoft.