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Astrid Panosyan-Bouvet : « Emploi des seniors, il faut changer la loi, les pratiques et les regards »

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Astrid Panosyan-Bouvet, ministre en charge du Travail et de l’Emploi, a accordé un entretien à notre partenaire média News Tank RH en marge du lancement de l’opération « Emploi des 50 + : le passage à l’action » dévoilée le 29 avril 2025.

Renforcer l’emploi des 50+ : Astrid Panosyan-Bouvet, ministre en charge du Travail et de l’Emploi - © D.R.
Renforcer l’emploi des 50+ : Astrid Panosyan-Bouvet, ministre en charge du Travail et de l’Emploi - © D.R.

Davantage de place aux seniors dans la vie active. Le gouvernement de François Bayrou veut « engager une mobilisation nationale inédite en faveur des travailleurs de plus de 50 ans ».

Le 29 avril 2025, Astrid Panosyan-Bouvet, ministre en charge du Travail et de l’Emploi, a lancé l’Initiative pour l’emploi des plus de 50 ans.

Dans une interview diffusée sur News Tank RH le 5 mai 2025, elle en aborde les principaux éléments et évoque au-delà des problématiques structurelles de l’emploi des seniors.

Pourquoi le changement de dynamique sur l’emploi des seniors est-il devenu tellement nécessaire aujourd’hui pour l’économie française ? Vous avez rappelé, en lançant la « mobilisation générale en faveur des 50 ans et plus », qu’il ne s’agissait pas d’un sujet nouveau pour notre pays…

Le sujet de l’emploi des seniors est devenu plus important que jamais parce qu’il y a des vies humaines derrière les statistiques. Depuis les années 80, nous nous sommes trop souvent accommodés de voir des femmes et des hommes sortir du marché du travail dès 50 ans. C’est un immense gâchis humain, social, mais aussi économique.

Nous avons trop longtemps roulé à contresens, avec des politiques de préretraite, d’aménagement de fin de carrière, d’inactivité subie.

Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un double défi démographique et budgétaire. Si nous avions le taux d’activité des 60-64 ans observé en Allemagne, la situation de nos finances publiques serait bien différente.

Il faut agir pour relever le taux d’activité global, en particulier sur deux segments où nous sommes encore en retrait : les jeunes, pour lesquels l’apprentissage a été un levier puissant, et les travailleurs expérimentés de plus de 50 ans.

Ce que nous avons su faire pour la jeunesse, nous devons aussi le réussir pour les seniors, dans toute leur diversité de parcours, de qualifications et d’envies.

Vous évoquez une forme de contresens collectif depuis les années 70-80. Comment expliquer que cet imaginaire reste si ancré, alors que les dispositifs ont disparu ?

Il existe en effet un imaginaire très puissant, hérité des années 1980, qui reste structurant. Jusqu’en 2010, la retraite à 60 ans était encore la norme.

Cela a forgé un « effet horizon » : les gens anticipaient leur sortie du travail des années avant l’âge légal, parfois dès 55 ans. Or les dispositifs permettant d’aménager cette deuxième partie de carrière ont été trop peu nombreux :

  • retraite progressive peu connue,
  • absence de temps partiels adaptés,
  • règles d’assurance chômage spécifiques pour les plus de 53 ans,
  • adaptation par les entreprises de leur politique de rupture conventionnelle en fonction de la durée de chômage et la date d’entrée à la retraite. On observe en effet un pic de ruptures conventionnelles qui s’est décalé de deux ans avec la réforme des retraites de 2010.

Tout cela a contribué à créer un consensus passif entre pouvoirs publics, entreprises et salariés. Il faut maintenant rompre avec cet héritage.

Quel est le rôle de l’État pour changer cela ?

Il faut agir sur trois plans en changeant :

  • la loi. C’est ce que nous faisons avec la transposition législative en juin de l’accord national interprofessionnel « seniors » signés par les partenaires sociaux en novembre 2024.
  • les pratiques. Nous les transformons en valorisant les entreprises qui s’engagent. Les équipes intergénérationnelles, cela fonctionne : elles apportent fiabilité, performance et stabilité. Nous formerons également les agents publics concernés, notamment les conseillers de France Travail, pour accompagner spécifiquement les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans. Ce sont des leviers décisifs pour inverser la tendance. La Dares va également mener une étude sur l’impact de l’âge dans les recrutements, via des campagnes de testing.
  • le regard. Nous lançons une grande campagne de communication nationale fin mai 2025. Elle sera déployée sur les réseaux sociaux, à la radio, dans les gares, avec des formats courts, percutants, pour faire tomber les préjugés et promouvoir une vision positive de l’expérience professionnelle. Cette campagne vise à montrer que l’expérience est un atout et non un frein et que l’expérience a de la valeur : « Il faut oser l’expérience ».

Quel est l’objectif de cette campagne de testing ? S’agit-il de contrôler les entreprises ou bien de leur donner une vision réaliste de la situation sur le terrain ?

Il s’agit de leur donner une vision réaliste de leurs pratiques. Les entreprises n’ont pas toutes conscience de la réalité de leurs pratiques qui peuvent conduire à éloigner d’elles les salariés expérimentés. Trop de préjugés sont encore à l’œuvre.

On associe encore souvent à l’âge, de façon implicite, le fait par exemple que les salariés de plus de 50 ans sont moins rapides ou moins à l’aise avec les outils numériques. Ce sont des stéréotypes qui résistent, alors même qu’ils ne reposent pas sur la réalité. C’est précisément ce type de biais qu’il faut déconstruire.

Pour cela, il est aussi essentiel de valoriser des rôles modèles. C’est le sens du travail que nous menons avec notre série de portraits « Premières Lignes » sur les réseaux sociaux, où nous donnons la parole à des travailleurs de tous horizons, y compris des travailleurs expérimentés, à différents niveaux de qualification et de responsabilité.

Leur expérience, leur capacité d’adaptation, leur contribution à la performance collective sont précieuses, et doivent être davantage mises en lumière.

Vous avez annoncé la transposition de l’ANI signé en novembre 2024 dans un projet de loi qui doit commencer son parcours parlementaire en juin 2025. C’est une reprise fidèle. Est-ce un geste politique envers les partenaires sociaux ?

Je crois profondément au dialogue social. Nous honorons ici une promesse : celle que nous avions formulée avec Michel Barnier, alors Premier ministre, quand nous avions décidé de relancer le dialogue social en invitant les partenaires sociaux à négocier sur les travailleurs expérimentés.

Le projet de loi de transposition fidèle de l’ANI de novembre 2024 débutera son examen à l’Assemblée nationale dès juin prochain.

Cet accord a été signé par quatre organisations syndicales et trois patronales. L’accord contient des avancées majeures : la généralisation de l’entretien de mi-carrière, un droit effectif à la retraite progressive dès 60 ans, et surtout le contrat de valorisation de l’expérience, très attendu par les employeurs.

Parmi les mesures phares figure le contrat de valorisation de l’expérience, qui fait suite au contrat senior porté par l’ANDRH et repris par les partenaires sociaux dans leur ANI. Pourquoi ce dispositif est-il si attendu ?

Beaucoup d’employeurs disaient : « On aimerait recruter un senior, mais on ne sait pas quand il partira ». Ce contrat donne une visibilité et un cadre. Cela permet de décider ensemble, dans un cadre sécurisé, de la suite à donner : prolongation, transmission ou départ progressif. Et ce n’est pas anodin.

Ce contrat donne de la visibilité, permet d’organiser une fin de carrière ou, au contraire, une poursuite.

Cela apaise la relation de travail. Il évite aussi les effets d’image associés aux seniors comme l’ancienne contribution Delalande versée lors du licenciement d’un salarié de plus de 50 ans. Le souvenir de cette disposition, disparue depuis 2008, a longtemps pesé sur les embauches des plus de 50 ans.

Seules 26 % des entreprises ont une politique RH dédiée aux 50 +. Cela vous surprend ?

C’est un constat préoccupant. Deux ans après la réforme des retraites, très peu d’entreprises, y compris parmi les grandes, ont actualisé leur stratégie RH. Cela renforce ma conviction qu’il faut associer politique publique et transformation des pratiques.

Ce que nous lançons, c’est une conversation nationale pour poursuivre la dynamique initiée. Des entreprises comme AXA, Lidl, Schneider, Safran, NGE s’engagent.

Plus de 170 nouvelles entreprises ont signé la Charte 50 + du Club Landoy la semaine dernière, avec un engagement clair : mesurer leurs progrès. Car ce qui ne se mesure pas n’existe pas. Nous relaierons aussi cette initiative à la fin du mois de juin à Vannes au congrès annuel de l’ANDRH en présence de 600 entreprises. Les lignes bougent !

L’intégralité de l’interview d’Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du Travail et de l’Emploi, est disponible sur News Tank RH en accès libre.