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Joël Bentolila, Cegid : «  faisons un peu d’acculturation en IA auprès des DRH »

Par Philippe Guerrier | Le | Sirh saas

Désormais Technology Research Lead chez Cegid, le cofondateur de Talentsoft explique comment il diffuse en interne une culture data et accompagne l'élaboration de nouveaux produits RH avec une dose d’IA générative.

Joël Bentolila, Technology Research Lead chez Cegid - © D.R.
Joël Bentolila, Technology Research Lead chez Cegid - © D.R.

Dans le trio des fondateurs de Talentsoft acquis par Cegid en 2021, c’est le dernier à conserver un poste dans la nouvelle configuration. Après le départ de Jean-Stéphane Arcis et Alexandre Pachulski, Joël Bentolila poursuit sa collaboration avec Cegid en mettant en exergue son expertise technologique et son savoir-faire en matière d’intelligence artificielle (IA).

Il vaudrait mieux parler « d’algorithme logiciel » du point de vue de ce diplômé de l’École des Mines de Paris qui a participé dans les années 80 à des recherches à ce sujet au sein de l’Université Carnegie-Mellon de Pennsylvanie (voir encadré en bas de l’interview).

L’actuelle vague des grands modèles de langage (LLM) et d’IA génératives, symbolisée par ChatGPT d’OpenAI, suscite chez Joël Bentolila un intérêt particulier.

Il transmet son expertise au sein de Cegid pour développer la culture data et de nouvelles solutions RH notamment.

En tant que Technology Research Lead chez Cegid, comment accompagnez-vous l’éditeur logiciel de solutions professionnelles dans l’exploration de l’IA ?

Cegid exploite depuis plusieurs années l’intelligence artificielle (IA). Mon équipe de 10 personnes au sein de cette cellule transversale joue un rôle d’enabler c’est-à-dire mettre le pieds à l’étrier à d’autres en : 

  • aidant les différentes business units de Cegid à s’approprier les technologies de data science et d’IA,
  • diffusant le plus largement possible les bonnes pratiques associées à la culture de la donnée,
  • préparant les produits Cegid du futur.

Cegid héberge dans ses centres de données de pétabytes de données de clients. Parmi les perspectives logiques, il s’agit de savoir comment :

  • créer de la valeur à partir de ces volumes massifs de données ;
  • restituer cette valeur au client pour qu’il développe son business.

Au-delà des méthodes traditionnelles de reporting, il est important de disposer des bons algorithmes, des bons cas d’usage et de compléter la gamme de solutions Cegid (HR, comptabilité, finance, retail et celles dédiées aux TPE). 

Au-delà de l’IA, il existe des sujets technologiques transverses gérés par d’autres équipes comme le cloud.

En tout, la partie Technology Office regroupe 60 personnes, intégrées dans une équipe R&D de 800 personnes au total. 

Comment propagez-vous la culture data au sein de Cegid ? 

C’est une véritable culture en soi qui permet par exemple d’aboutir à des data products. C’est de l’assemblage software mais la donnée fait partie du produit de manière inhérente. Cela inclut une dimension de versioning de la donnée : des morceaux de données deviennent obsolètes d’un côté et il faut en rajouter des nouveaux de l’autre. Le cycle de vie est assez proche d’un cycle de vie d’un produit standard.

Il est également essentiel d’installer une gouvernance autour de la donnée avec des propriétaires (« owners »). Au sein de Cegid, la maturité de la culture varie en fonction des lignes produits et des business units entre évangélisation, déploiement de POC et mise sur le marché souvent sous forme de pointes d’iceberg dans le produit.

En immergé, il existe une partie invisible. En fonction des features, les utilisateurs finaux et les clients ne savent pas forcément que, dans les coulisses, il y a des données ou des algorithmes basés sur la donnée qui sont exploités.

Par exemple, avec les ATS, nous réalisons depuis longtemps de l’ingestion automatique de données de CV. Nous sommes aussi en mesure de prendre une image scannée d’un CV que l’on peut transformer en texte puis en données intelligibles qui permet de qualifier le candidat.

Il existe peu ou prou de l’IA dans tous ces process (reconnaissance de texte dans une image, identification des expériences et des compétences d’un candidat à la lecture de son CV, matching…).

Est-ce une culture que vous avez importé de votre expérience au sein de Talentsoft ?

Nous avions déjà réalisé beaucoup de choses sur la partie RH à travers Talentsoft. Pour les produits des autres domaines comme la comptabilité, Cegid a avancé de son côté. 

Comment intégrez-vous l’IA dans les solutions Cegid en règle générale et ChatGPT en particulier ?

A propos de ChatGPT, nous menons des tests en interne.

Nous assistons à une véritable effervescence en interne. Nous faisons le lien entre la stratégie de Cegid et sa technologie. Cette approche vise à réduire la complexité des actions de nos clients dans le développement de leur business.

A travers notre gamme de solutions en cours de transformation, nous évoluons dans des environnements métiers complexes en raison d’un encadrement règlementaire fort (HCM, expertise-comptabilité, généralisation de la facturation électronique…).  L’IA va servir à réduire le temps consacré aux tâches répétitives pour le réinjecter sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. 

Nous menons des tests en interne à travers des POC pour résoudre des cas d’usage particuliers de ChatGPT.

ChatGPT est un modèle d’exploitation dans l’IA générative. Mais il en existe d’autres pour tirer des tendances sur les données par exemple. On peut en tirer des patterns d’avertissement sur l’état de la trésorerie d’une entreprise par exemple.

Dans le domaine RH, nous avançons sur le matching pour auto-identifier ses compétences, détecter les opportunités de mobilité professionnelle en interne et trouver les bonnes formations. C’est une sorte d’aide pour accompagner la trajectoire du parcours et de la carrière du collaborateur. 

Les DRH s’approprient-ils cette culture data ? 

Les RH ont une culture de la donnée moins développée que, par exemple, leurs collègues CFO mais cette culture se développe.

On sous-estime souvent la complexité d’obtenir une donnée aussi basique que l’effectif d’une société. Est-ce qu’on parle d’équivalent plein-temps, des effectifs en début de mois, des personnes présentes ? Payées ?

En tout cas, il y a eu une nette progression de culture sur ces 15 dernières années. Même si beaucoup reste à faire.

Comment percevez-vous l’impact de l’IA sur la fonction RH ? 

Cela reste un sujet tech qu’il faut appréhender pour démystifier.

Faisons un peu d’acculturation en IA auprès des DRH pour qu’ils puissent comprendre les enjeux et agir au sein de leurs organisations.

Par exemple avec l’IA générative, il est possible d’automatiser des tâches comme la recherche d’informations légales et professionnelles. Il faut rester plus prudent sur les capacités d’analyses et les restitutions d’analyses. L’empreinte humaine demeure essentielle. 

Faut-il les inciter à procéder à un examen des compétences dans chaque organisation ? 

Oui. C’est dans l’intérêt des DRH d’organiser ce processus avec cette nouvelle vague incluant de l’IA générative. L’IA regroupe presque 20 technologies différentes.

Les DRH doivent prendre conscience des enjeux et commencer à évaluer l’impact en entreprise entre les métiers en voie d’obsolescence, les métiers en évolution et les futurs métiers. Cette vision métier doit bien sûr être alignée à la transformation plus ou moins profonde du business.

« Il vaudrait mieux parler d’algorithme logiciel que d’IA » (Joël Bentolila)

« Je suis sensible au vocabulaire employé. Les gens fantasment trop sur l’IA alors qu’elle n’est pertinente que sur des domaines spécialisés. Par exemple, dans le domaine de la santé, l’IA s’avère pertinent pour l’analyse en radiologie, en appui d’un spécialiste humain.

Après la période de glaciation de l’IA, 2 éléments surgissent :
•  la quantité exponentielle de données disponibles en masse et accumulée dans les serveurs 
•  la croissance importante des plateformes de calculs (Microsoft Azure, Google Cloud Platform, Amazon Web Services…).

ChatGPT nous fait changer de dimension avec 100 à 200 milliards de data points c’est-à-dire des concepts avec de la donnée signifiante derrière qu’il est possible d’accumuler et d’assembler pour en faire des déductions. A ce niveau, aucun cerveau humain ne peut rivaliser quand il s’agit d’analyser autant de données. De tels outils deviennent essentiels pour faire de la recherche et de la restitution de données ingérées.

Il est en revanche important de prendre du recul par rapport aux résultats produits par une IA générative car ils peuvent manquer de pertinence à cause d’une ingestion initiale de données biaisées ou incomplètes. C’est pour cela que l’IA reste un outil et que les décisions sont prises par des humains », déclare Joël Bentolila.

Concepts clés et définitions : #DRH ou directeur des ressources humaines