Emploi et numérique : la place des personnes en situation de handicap dans la transformation
Par Philippe Guerrier | Le | Motivation & engagement
Marché de l’emploi sous tension, innovation, freins à l’accessibilité des sites Internet…l’Agefiph dresse un état des lieux avec une étude Ifop. Une récente conférence a réuni un panel d’acteurs engagés dans l’insertion des personnes en situation de handicap dans la vie professionnelle.
Comment favoriser la jonction entre handicap, emploi et numérique ?
Dans le cadre de la Semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées qui s’est déroulée du 20 au 26 novembre, une convention sur les usages et les opportunités du numérique en lien avec l’emploi pour les personnes en situation de handicap s’est déroulée le 21 novembre dans l’enceinte du campus de Microsoft France à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).
L’occasion pour l’Agefiph (Association nationale de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées) de présenter une étude Ifop intitulée « La transition numérique : un accélérateur pour l’emploi des personnes en situation de handicap ? ».
Ce sondage a également servi de support pour débattre avec plusieurs représentant d’acteurs mobilisés pour faire avancer la cause de l’insertion des personnes en situation de handicap dans la vie professionnelle.
Didier Eyssartier (Agefiph) : « Nous avons encore de belles innovations à venir avec l’IA »
« C’est un sujet intéressant à traiter sous différentes thématiques :
- des secteurs d’activité sous tension qui peuvent être intéressants en termes d’opportunité d’emploi pour les publics en situation de handicap ;
- des technologies susceptibles de faciliter le travail des PSH. Nous avons encore de belles innovations à venir avec l’IA ;
- a contrario, le numérique perçu comme un frein à cause des soucis d’accessibilité », déclare Didier Eyssartier, Directeur général de l’Agefiph, en introduction de la table ronde.
François Legrand (Ifop) : « Pour l’adoption des outils d’IA générative et de réalité virtuelle, le niveau d’aisance est moins marqué »
Pour alimenter le débat, l’Agefiph a dévoilé une étude présentée par François Legrand, Directeur d’études Ifop. Voici quelques focus extraits de l’enquête de l’institut d’études d’opinions et marketing. Plus précisément, il s’agit d’une synthèse d’un dispositif de 4 enquêtes.
Le développement des outils numériques
« A la question générale ‘Pensez-vous que le développement des outils numériques est une plutôt une chance ou plutôt une menace pour les personnes en situation de handicap ?’, les intéressées expriment un avis partagé.
- 41 % d’entre elles estiment que c’est plutôt une chance.
- 27 % estiment que cela représente plutôt une menace.
- 32 % ne se prononcent pas. »
L’impact des technologies numériques
A la question ‘Les technologies numériques ont-elles globalement un impact positif ou négatif sur chacun des aspects suivants liés à la vie professionnelle ?’
Les personnes en situation de handicap considèrent :
- qu’elles ont eu un total impact positif à hauteur de 81 % sur l’organisation du travail ;
- qu’elles sont bénéfique à hauteur de 70 % pour la productivité des salariés.
- En revanche, les avis sont beaucoup plus partagés sur l’impact des technologies numériques sur les relations humaines dans l’entreprise avec :
- 40 % de “total impact positif”,
- 39 % sur l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle.
L’aisance en fonction des usages numériques
À la question : ‘vous sentez-vous à l’aise avec l’usage de chacune des technologies suivantes ?’,
- 79 % des personnes en situation de handicap se déclarent vraiment à l’aise avec les outils de bureautique ;
- 63 % se déclarent vraiment à l’aise avec l’utilisation de la visioconférence ;
- En revanche, on voit que, pour l’adoption des nouveaux outils d’IA générative et de réalité virtuelle, le niveau d’aisance est moins marqué. 23 % dans le premier cas et 22 % dans l’autre. En comparaison avec la population globale française, précisons que ces usages restent encore minoritaires.
Accessibilité des sites Internet
- 21 % des personnes en situation de handicap en activité ou demandeur d’emploi déclarent ‘renoncer souvent ou assez souvent’ à candidater à un emploi en raison du manque d’accessibilité du site Internet de l’employeur.
- Les écarts sont assez significatifs en fonction du type de handicap.«
Méthode et accès aux ressources
L’étude Ifop - Agefiph mis en perspective les résultats obtenus auprès de personnes en situation de handicap, à ceux de trois autres échantillons :
• un échantillon représentatifde la population française dans son ensemble,
• un échantillon de la population salariée française,
• un échantillon représentatif des dirigeants d’entreprises ayant au moins un salarié.
Cette enquête est basée sur 6268 répondants en situation de handicap. Pour télécharger l’étude intégrale, rendez-vous sur le site Internet de l’Agefiph.
Handicap, emploi et numérique : les témoins
Fernando Pinto da Silva (Fédération des aveugles et amblyopes de France)
- »Entre les difficultés, le stress et le manque d’accessibilité, les statistiques présentées dans l’étude Ifop font écho à celles du W3C au niveau mondial : 1 personne sur 5 a besoin d’accessibilité numérique alors que les systèmes ne sont pas forcément bien conçus. Pour la Fédération des aveugles et amblyopes de France que je représente, c’est quelque chose de très concret.
- Nous avons ouvert l’observatoire pour évaluer le respect des obligations en matière d’accessibilité numérique en juin 2023. Nous surveillons plus de 2200 sites avec cet outil. Sur 404 sites du secteur privé, 5,79 % de ses sites respectent les obligations légales en matière d’accessibilité numérique sur la foi des déclarations transmises.
- Au sein de la Fédération des aveugles et amblyopes de France, nous savons que le numérique est un levier considérable pour les gens qui ont pathologie visuelle de travailler. Mais comment faire pour que l’ensemble des outils d’accessibilité soient disponibles dès le recrutement mais aussi tout au long du parcours professionnel ? », déclare Fernando Pinto da Silva, expert accessibilité de la Fédération des aveugles et amblyopes de France.
Sophie Rattaire (Comité interministériel du Handicap)
- « Selon l’étude Ifop, 41 % des PSH ont le sentiment que les outils numériques sont à considérer comme une chance et non comme une menace. Je comprends cette prudence vis-à-vis de cette opportunité numérique. Il faut que ces outils soient nativement accessibles. Sinon, cela se révèle un frein.
- La question est de savoir comment former ceux qui créent les outils numériques et informer ceux qui les achètent pour les utiliser et comment former les PSH à l’usage de ces outils. Il faut encourager les dirigeants à la prise de conscience de l’accessibilité numérique.
- J’aimerais énumérer quelques mesures qui auront un impact par rapport à ce levier du numérique et l’accès à l’emploi. Celui-ci n’est possible qu’à partir du moment où l’on donne la possibilité à la PSH de se former et de se maintenir à l’emploi à travers la formation continue.
- La Conférence nationale du Handicap a prévu plusieurs mesures, notamment une expérimentation à travers 5 universités qui s’engagent en 2024 sur une accessibilité physique et numérique avec notamment la mise à disposition des ressources pédagogiques pour les jeunes étudiants en situation de handicap.
- Nous veillerons aussi au respect des normes d’accessibilité comme le Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA). Des directives européennes à transposer en droit français vont renforcer cette orientation. L’un des maillons faibles du dispositif d’accessibilité numérique, c’est l’application des sanctions. A travers les 60 millions d’euros qui vont être dégagés pour rendre les sites publics accessibles dans le cadre de leurs obligations, les signalement des manquements passibles de sanction seront plus fréquents sous l’autorité de l’Arcom », déclare Sophie Rattaire, Coordinatrice à l’accessibilité universelle et à l’inclusion au secrétariat général du Comité interministériel du Handicap, qui a participé à la session en visioconférence.
Johan Titren (Adecco)
- « La transition numérique actuelle est d’une ampleur gigantesque et il est nécessaire de placer les personnes en situation de handicap au cœur de cette évolution.
- Il faut rester attentif car des usages possibles aujourd’hui du numérique par les PSH pourraient disparaître demain. Il s’agit bien d’éviter l’apparition de nouveaux impossibles dans les pratiques numériques du futur qu’ils soient techniques, technologiques, intergénérationnels voire genrés.
- Si les solutions numériques permettent de compenser les déficits visuels, elles peuvent générer des soucis de santé comme la fatigue des yeux ou les problèmes de posture », déclare Johan Titren, directeur Diversité et Inclusion de The Adecco Group en France.
Philippe Trotin (Microsoft)
- « Il existe 2 problématiques liées à l’accessibilité numérique :
- les outils bureautiques que l’on utilise au quotidien pour réaliser son travail et faire du télétravail. C’est une obligation pour les personnes en situation de handicap de se former si elles veulent bien maîtriser cet environnement. C’est forcément plus complexe pour une personne en situation de handicap visuel en raison de l’usage d’un écran que l’on ne voit pas. Il faut donc l’imaginer.
- L’accessibilité numérique sur les 250 plus grands sites Web publics n’a guère évolué au regard des investissements consentis pour améliorer la situation.
- A propos des parcours en université, il n’est pas normal que des étudiants à des niveaux de diplôme à bac+ 4 ou 5 ne reçoivent pas d’informations sur le handicap ou l’accessibilité numérique dans leur parcours. C’est dommage car ils formeront la population de cadres de demain qui seront amenés à recruter des personnes en situation de handicap », déclare Philippe Trotin, directeur de la mission Handicap et Accessibilité numérique de Microsoft France.
Nicolas Dupain (France Immersive Learning) : « Les personnes en situation de handicap ont conscience de la capacité des technologies immersives à améliorer une partie de leur existence »
- « L’association France Immersive Learning a vocation à promouvoir l’usage des technologies immersives, comme la réalité virtuelle. Ce qui m’interpelle dans les résultats de l’étude Ifop, c’est la relative homogénéité des résultats entre les personnes en situation de handicap et la population globale. Je trouve cela encourageant de constater que des personnes en situation de handicap ont conscience de la capacité des technologies immersives à améliorer une partie de leur existence.
- Ces technologies sont puissamment ‘expérimentielles’. Il faut vraiment pratiquer la réalité virtuelle au-delà du simple essai. Sinon il est difficile de prendre la mesure de la puissance technologique, de la dimension d’ubiquité qui libère des contraintes physiques.
- L’accessibilité des univers et des périphériques immersifs demeurent un vrai sujet et un réel travail de fond à aborder différemment en fonction de la nature des handicaps », déclare Nicolas Dupain, président et fondateur de France Immersive Learning.
Adaptation d’un article de News Tank RH publié le 27 novembre 2023. Pour accéder à l’offre Découverte.