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Femmes dans le numérique : quels maillons faibles dans le recrutement et l’enseignement ?

Par Philippe Guerrier | Le | Motivation & engagement

Comment favoriser l’intégration des femmes dans les métiers et filières numériques ? Des experts issus de divers horizons - ANDRH, Sodexo, France Digitale, Numeum, EPITA et France Universités - ont fait le point lors des premières Assises nationales dédiées (16 février 2023).

Assises de la féminisation des métiers et filières numériques : table ronde « Voix de l’urgence » - © D.R.
Assises de la féminisation des métiers et filières numériques : table ronde « Voix de l’urgence » - © D.R.

Un panel d’experts a fait le point sur les écueils rencontrés dans le secteur du numérique pour attirer, recruter et former davantage de femmes sur fond de pénurie globale de main-d’oeuvre et de sous-représentation flagrante de la gente féminine.

Voici une synthèse de la table ronde intitulée « Les voix de l’urgence » qui s’est déroulée dans le cadre des premières Assises nationales de la féminisation des métiers et filières numériques organisées le 16 février 2023 au ministère de l'Économie, des Finances et de la Relance. Avec les interventions de : 

  • Maya Noël, Directrice générale de France Digitale du nom d’une association professionnelle qui promeut l’innovation à travers la rencontre entre entrepreneurs, start-uppers et investisseurs ;
  • Emmanuelle Germani, Vice-Présidente de l'ANDRH ;
  • Agnès Mauffrey, Global CIO du groupe Sodexo ;
  • Jean-Christophe Morisseau, administrateur et vice-président de la commission Femmes du numérique de Numeum ;
  • Philippe Dewost, directeur général EPITA (propriété de IONIS Education Group).
  • Jean-Marc Ogier, président de la Rochelle Université et du conseil des personnels et des moyens de France Universités.

Femmes dans le numérique : les maillons faibles dans le recrutement

Maya Noël (France Digitale) : « Il faut parler de métiers normaux dans l'écosystème des start-ups »

  • « A travers France Digitale qui est un vivier de start-ups, nous essayons de démystifier le numérique et les métiers de la tech dans un objectif de vulgarisation de notre activité sectorielle. La vision de “métiers désirables” est souvent exploitée mais elle porte une dimension marketing qui n’est peut-être pas la plus appropriée. En fait, il faudrait juste parler de métiers normaux. L'écosystème numérique n’est pas une exception. En créant des fiches de postes pour des start-ups, je me suis rendu compte que je contribuais à générer une caricature de l’univers des jeunes pousses avec baby-foot dans les locaux et des collaborateurs qui travaillent en sweat-shirt.
  • Le monde des start-ups a changé en 10 ans. Les besoins sont tellement conséquents : il existe dorénavant une multitude de métiers et de perspectives d'évolution de carrières qui nécessitent une excellence opérationnelle à tous les niveaux.
  • Dans une start-up, il n’est pas nécessaire de disposer d'équipes uniquement constituées de profils sur-éduqués comme les data scientists. Il est possible d’avancer dans les métiers du numérique à un niveau bac+2 voire sans le bac (…) Il faut plutôt compter sur la formation tout au long de la vie. Le principal frein au développement des start-ups sous la pression de la performance, c’est d’attirer les bons talents en favorisant l’intégration des femmes. »

Emmanuelle Germani (ANDRH) : « L’essentiel, c’est la recherche de compétences en fonction des profils »

  • « Au sein de la communauté de DRH que je représente, nous avons certainement des biais pour recruter des femmes dans le numérique. Il arrive encore de tomber sur des cas où un manager demande au recruteur dans sa fiche de poste d'éviter l’embauche d’une jeune femme susceptible d’avoir des enfants. Même si ce n’est pas autorisé dans la loi au nom d’une remise en cause du sexisme.
  • L’essentiel, c’est la recherche de compétences en fonction des profils. En matière de pratique de recrutement, je préfère parler de politique volontariste en faveur des femmes plutôt que de discrimination positive.
  • Les DRH sont conscients que les jeunes générations regardent davantage comment les entreprises se comportent sur les dimensions d’impacts et de politiques RSE. Cela se mesure par les moyens mis en place, mais, ce qui compte, ce sont les résultats tangibles et le passage à l'échelle. »

Agnès Mauffrey (Sodexo) : « Il vaut mieux insister sur la dimension de transformation que du codage »

  • « Le fait d’avoir des équipes mixtes constitue un facteur d’efficacité. Nous le constatons avec la diversité des corps de métiers au sein de Sodexo. Les valeurs de mixité, d'équité et d’inclusion font partie de l’ADN du groupe. Pour le volet numérique dont j’ai la charge, l’histoire est un peu différente : nous arrivons péniblement à 30 % de femmes dans l’IT (…) Au-delà du codage informatique, il vaut mieux insister sur la dimension de transformation. »
  • La valeur travail est importante au niveau d’une DSI avec l’acquisition de compétences - et pas uniquement tech - tout au long de son parcours professionnel.
  • Il existe tellement de métiers divers que tous les profils sont possibles en fonction des étapes de carrière. Il existe des opportunités partout si l’on se montre curieux.« 

Jean-Christophe Morisseau (Numeum) :  »La vraie question est de savoir comment garder une femme dans une entreprise du numérique«  

  •  »Dans le monde des ESN, la priorité est donnée à la recherche de compétences à l’ouverture d’un poste. Au-delà des angles de la féminisation des effectifs et des métiers, ce qui stimule nos entreprises, c’est le développement du business, de la croissance et des profits.
  • Après la phase de recrutement d’une femme, la vraie question est de savoir comment la garder dans l’entreprise, qu’elle se sente bien dans un parcours attractif de développement de carrière et comment l’accompagner jusqu'à l’accès à des responsabilités au niveau des comités de direction. 
  • C’est l’un des enjeux avec les gentes masculines prédominantes dans les entreprises du numérique : comment favoriser la prise de conscience pour développer la mixité et la valeur des compétences féminines. En 2023, au lieu d’organiser les Assises de la féminisation du secteur numérique, il faudrait peut-être rebaptiser ce rendez-vous en “Assises de la démasculinisation”.« 

Femmes dans le numérique : les maillons faibles dans les filières d’enseignement du numérique

Philippe Dewost (EPITA) : »Les jeunes filles doivent se sentir capables d’embrasser une carrière dans le numérique« 

  •  »La souveraineté numérique, c’est d’abord une affaire de compétences. C’est important de savoir maîtriser les technologies utilisées, au-delà de la gestion des paramètres d’outils numériques. Nous rencontrons un problème de fond dans notre pays qui est perclus de clivages entre universités et grandes écoles mais aussi entre institutions publiques et institutions privées. Il faut que nous avancions ensemble. La souveraineté numérique n’est pas une affaire de sexe, de couleur politique, de différence entre public et privé. Elle doit uniquement être développée sous le prisme des compétences et des talents qui doivent être détectés tôt.
  • Il faut que les jeunes filles se sentent capables d’embrasser ce type de carrière, qu’elles se sentent autorisées à penser que les sciences sont des domaines intéressants. Pour cela, il faut déconstruire des stéréotypes et donner des perspectives d’avenir. Une vision qui a été brisée parmi les jeunes avec la crise sanitaire Covid-19.
  • Il faut aussi souligner l’importance du travail pour les étudiants afin de décrocher un diplôme d’ingénieur validé par la Commission des titres d’ingénieur (CTI) et l’effort à fournir pendant la formation qui s'échelonne sur 2 ans.« 

 »Les stéréotypes sont installés avant l’inscription universitaire«  (Jean-Marc Ogier)

  •  »Actuellement, l’Etat lance des pôles universitaires d’innovation pour faire sauter les verrous, notamment ceux relatifs aux prises de risques de jeunes doctorants, au nom d’un décloisonnement culturel entre le public et le privé mais aussi en matière de différence de sexes. Au niveau des inscriptions universitaires, nous arrivons un peu tard dans la chaîne de prise de conscience. Car les stéréotypes sont déjà installés. Nous ne recensons que 15 à 20 % de femmes dans les filières numériques en université, ce qui est une catastrophe.
  • Il faut travailler sur le sujet mais davantage en amont de l’université. Pourquoi pas en remontant à la primaire pour que cessent les stéréotypes. Une récente étude de l’association Société informatique de France sur l’impact de la réforme du lycée sur l’enseignement de l’informatique mettait en lumière un fort abandon de la spécialité Numérique et sciences informatiques (NSI) entre la 1ère et la terminale et un taux faible de filles dès la première.
  • De notre côté, nous travaillons aussi beaucoup pour attirer les étudiantes vers les filières numériques. Mais, au-delà de la nécessaire féminisation, il existe un besoin de favoriser une montée en compétences plus large dans le secteur et d’ouvrir l’esprit des jeunes."