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Jean Pralong, EM Normandie : « Recrutement : rendre les pratiques plus humaines au-delà de l’IA »


Le collectif « SAV du recrutement » (EM Normandie, Actual Group, act4skills, Blendy, Saven, Yaggo) a publié en juillet une étude qui recense six points de crispation dans la phase de recrutement. Le point avec Jean Pralong, titulaire de la chaire « Compétences, Employabilité et Décision RH » de l’EM Normandie.

Jean Pralong - © D.R.
Jean Pralong - © D.R.

Mails automatiques, critères cachés, ghosting… Le processus de recrutement peut irriter et peut générer une insatisfaction croissante chez toutes les parties prenantes : candidat, recruteur et manager. Une étude qualitative a été menée à ce sujet par l’EM Normandie en partenariat avec le collectif “SAV du recrutement” réunissant des acteurs du marché de l’emploi.

Intitulée « Comment l’idée de justice éloigne candidats, recruteurs et managers », elle est intéressante à décortiquer sous différents angles. Le point avec le coordinateur Jean Pralong, titulaire de la chaire « Compétences, Employabilité et Décision RH » de l’EM Normandie.

Comment expliquez-vous cette concentration d’irritants (six recensés) sur le processus de recrutement, en sachant qu’ils peuvent se cumuler ?

Leur nombre paraît important effectivement, mais il ne faut pas en conclure que les recruteurs font n’importe quoi, que les candidats sont des irresponsables et que les managers sont des hyènes.

Ces six irritants ne représentent pas un gros problème dans le processus de recrutement. Ils révèlent combien les attentes et les positions des acteurs sont différentes dans la chaîne.

Pour atténuer ces irritants, il faut prendre un peu de recul pour imaginer comment un comportement sera perçu par l’autre en fonction de sa position.

Prenons l’exemple de l’envoi des mails automatiques.

  • En qualité de recruteur, le processus permet de diffuser de l’information précise.
  • Côté candidat, on peut estimer que cette réponse est déshumanisée. C’est la manière dont sa candidature sera examinée qui l’intéresse.

C’est important du point de vue du recruteur, qui fait la jonction entre le candidat et le manager, de donner des éléments contextuels et de prendre en compte les besoins de ses interlocuteurs.

C’est essentiellement un problème de perception entre le recruteur et le candidat ?

C’est un problème de fond lié à des attentes asymétriques. Le recrutement est un concours avec un seul vainqueur. Il faut trouver un dénominateur commun entre plusieurs candidats qui veulent démontrer leurs compétences, et un recruteur qui veut trouver le bon profil. Sans oublier le manager qui attend des ressources opérationnelles.

Il est normal qu’un candidat non retenu soit déçu, mais il faut éviter qu’il ressorte abattu. Il doit se sentir rassuré sur plusieurs points à la fin du processus de recrutement : sa candidature a bel et bien été traitée de manière correcte, il a obtenu des informations auprès des professionnels rencontrés à propos de son marché de prédilection ou du poste qu’il visait.

Sur la partie du recrutement, les efforts que réalisent les recruteurs sur la marque employeur paient-ils finalement ?

Dans beaucoup de cas, les pratiques de marque employeur sont assimilées par les candidats à de la publicité : des messages enjolivés, donc un peu mensongers, et surtout pas très informatifs.

Il faut garder en tête qu’une pratique de marque employeur efficace doit être « segmentante ». Comme une marque commerciale, une marque employeur n’a pas vocation à attirer tout le monde. Elle doit susciter l’attention des profils recherchés et écarter les autres.

Dans le processus de recrutement, les recruteurs devraient aussi oublier ce côté marketing souvent lié à la marque employeur pour se concentrer sur la détection de bons candidats en explorant les soft skills plutôt que la partie technique.

Parmi les points irritants, on aurait pu citer le nombre d’entretiens à passer et d’interlocuteurs à rencontrer pour validation. Dans quelle mesure cette méthode de filtrage peut-elle devenir nuisible côté candidat ?

C’est intéressant parce que cela rejoint la question du candidat et/ou de l’emploi jetable. Se porter candidat à un poste important et structurant dans sa carrière, ce n’est pas la même démarche que de postuler à un travail transitoire et uniquement nutritif.

Considérer que le recrutement pour occuper un poste de haut niveau demande du temps et nécessite plusieurs entretiens est une démarche qui ne me choque pas. Mais la tendance actuelle est plutôt d’accélérer le processus de recrutement en vue d’une implication rapide et opérationnelle de la nouvelle recrue.

Je ne suis pas certain que cette méthode crée de l’engagement durable. Le recrutement constitue en quelque sorte un rite de passage pour rejoindre une tribu. Les effets de socialisation et de partage de vision sont importants à ce stade.

En négligeant ces mécanismes fondamentaux, psychosociaux, d’engagement dans un collectif, le risque est grand de perdre de vue les collaborateurs qui ne s’adaptent ou n’adhèrent pas à la singularité de l’entreprise.

Quelle place accordée à l’IA dans les solutions adoptées dans le processus de recrutement ? Va-t-elle favoriser un rééquilibrage dans le choix des candidats ou au contraire accentuer les biais ?

C’est un domaine encore immature. Certes, il existe de l’IA pour trier les CV ou pour sélectionner les profils mais cela reste encore peu généralisé. Cela concerne 10 à 15 % du marché du recrutement.

Pour développer le recours à l’IA, il faut expliquer ses mécanismes au nom de la transparence et démontrer l’efficacité des outils.

Néanmoins, on voit poindre des inquiétudes de la part des candidats sur l’exploitation de l’IA dans les ATS : les CV seraient avalés sans distinction, ou seraient maltraités, ce qui transformerait le processus de sélection des candidats en boîte noire.

De manière symétrique, on voit poindre les mêmes inquiétudes côté recruteur avec des candidats qui rendraient leur CV magnifique car généré avec de l’IA. J’ai l’impression que cela exacerbe la partie de dupe entre les parties. Au-delà de la pertinence de l’IA dans le processus de recrutement qui peut être une source de productivité, le principal enjeu est de rendre les pratiques plus humaines.

Avez-vous été surpris par un point particulier par un enseignement de votre étude ?

La position du manager est intrigante dans le processus de recrutement. Il se retrouve en position dominante dans le choix final du candidat.

Le recruteur est considéré comme un sous-traitant, avec toutes les contraintes que cela suppose, notamment une faible reconnaissance.

De plus, le manager se trouve plus souvent « borderline » sur les profils retenus en émettant des objections sur l’âge d’un candidat par exemple.

Sous un autre angle, la question de la crédibilité d’un jeune recruteur, qui fait ses premiers pas dans la fonction RH, se pose. Un senior au poste de recruteur, fort de son expérience opérationnelle acquise et de sa connaissance des métiers, sera mieux écouté par un manager.

Les six irritants identifiés dans l’étude

• mails automatiques
• non-dit des critères de sélection réels
• approximations et exagérations
• oscillation entre sélection et séduction
• rôle du marché
• ghosting (candidats et recruteurs)

Extrait d’une interview de Jean Pralong diffusée le 11 juillet 2025 à retrouver en intégralité sur News Tank RH. Pour accéder à l’offre Découverte.