Stéphanie Fraise, OpenClassrooms : « Je n’ai pas le profil de DRH académique, je viens du business »
Stéphanie Fraise, qui occupe actuellement le poste de Chief Human Resources Officer chez OpenClassrooms, dispose de plusieurs expériences de DRH dans des sociétés technologiques en croissance comme BlaBlaCar. Quel regard porte-t-elle sur son parcours ?

Quelle place pour les DRH dans les sociétés tech en croissance ?
Depuis novembre 2023, Stéphanie Fraise occupe le poste de Chief Human Resources Officer chez OpenClassrooms (plateforme pour la formation en ligne).
Dans cet entretien, elle aborde les dossiers prioritaires à son poste actuel mais aussi son expérience professionnelle de DRH dans d’autres sociétés technologiques françaises comme BlaBlaCar ou Dailymotion.
En tant que DRH, quelle est la priorité actuelle chez OpenClassrooms ?
L’une de nos plus grosses priorités concerne la formation des managers. Avec ce chantier entamé mi-2024, nous voulons définir le socle de compétences et le modèle de management avec les enjeux de culture, de valeur et de compétence. Ce programme, qui concerne 60 managers, vient de prendre fin.
L’enjeu est désormais de s’assurer que cette formation bascule de la théorie à la pratique de manière concrète, et se transforme en véritable outil opérationnel de management du quotidien pour le suivi régulier des collaborateurs : efficacité des entretiens individuels, bien-être, santé mentale, performance, développement… Il est nécessaire de définir un socle managérial cohérent, que l’on soit junior ou senior.
La définition de performance est importante : il faut définir les objectifs, les suivre dans le temps et développer un rituel comme la pyramide moyens/exigences. Cet outil permet de trouver un équilibre entre moyens mis à disposition et les objectifs à atteindre. Il contribue à favoriser la discussion avec les équipes et les collaborateurs pour trouver des solutions : revoir les délais, redéfinir les moyens, reprioriser…
Au cours de cette formation, nous n’avons pas eu de langue de bois ou de tabous. Nous avons abordé des sujets difficiles comme les problèmes de performance susceptibles de se transformer en burn-out ou de démission. Les managers ont parfois des conversations difficiles avec les collaborateurs. Ils doivent être capables de les affronter.
C’est vraiment la cheville ouvrière pour toutes les entreprises : garantir un environnement sécurisant de travail, donner un cadre et du sens à son équipe, et engager le collectif. Nous menons actuellement une enquête importante sur ce dernier sujet.
OpenClassrooms a plus de 15 ans. Il n’y avait pas de socle RH et de management auparavant ?
Ce n’est pas une question de structuration. En fait, nous avons repris les bases pour s’assurer que notre Core RH fonctionne correctement. Nous avons notamment rationalisé nos outils.
Nous sommes par exemple en train de rationaliser notre pratique RH en nous concentrant sur l’exploitation d’une plateforme unique : Lattice. Nous approfondissons son exploitation depuis 9 mois : la plateforme intègre désormais les entretiens individuels, la performance, les objectifs d’entreprise (via la méthodologie OKR), les feedbacks et les leviers d’engagements.
Dans votre parcours professionnel RH, vous avez travaillé dans plusieurs sociétés technologiques en croissance comme BlaBlaCar ou Dailymotion. Quels sont vos critères de choix pour vous impliquer ?
J’ai peut-être un regard biaisé parce que l’un de mes critères de choix pour rejoindre les entreprises en tant que DRH, c’est justement le degré de culture RH déjà établi sur la place des valeurs, l’expérience collaborateur, la performance, le développement des compétences, l’inclusion…
Je cherche un certain alignement sur tous ces sujets avec les fondateurs et/ou les dirigeants et à appréhender la place donnée aux RH et à ses équipes dédiées.
Je n’ai pas le profil de RH académique, je viens du business. Quand je rejoins une entreprise, j’ai besoin de comprendre le business et de m’y impliquer. Ma mission consiste aussi à apporter un éclairage RH pour aider les dirigeants dans leur prise de décision.
Les dirigeants s’engagent-il vraiment dans les process RH ou préfèrent-ils déléguer rapidement pour se concentrer sur le développement des produits et du business ?
C’est vrai qu’il existe des entreprises dans ce cas. J’ai refusé d’aller plus loin sur certaines propositions parce que je ne le sentais pas.
Le problème avec un CEO qui délègue entièrement la gestion RH, c’est le responsable RH se retrouve seul et isolé dans ses pratiques. Il risque de ne pas parvenir à fédérer un collectif. Cela ne permet pas de travailler efficacement.
Ma vision, c’est que les RH ne sont pas là pour répondre à une demande opérationnelle. Elles sont là pour amener de la valeur aux opérationnels. Dans un monde idéal, les RH devraient aussi anticiper les besoins des opérationnels.
Par expérience, existe-t-il un point d’étape dans le développement d’une entreprise en croissance où une équipe devient nécessaire pour le pilotage RH ?
Le plus tôt possible. C’est un sujet important pour accompagner la croissance. Le risque si l’on s’en néglige cette étape, c’est de créer une dette RH qui sera difficile à résorber : structuration des contrats, les titres et les fonctions dans les équipes, l’organisation du travail, la gestion de la paie, la grille de salaires… Avec le risque de déconstruire ce qui a été fait initialement pour repartir sur de bonnes bases en structurant l’approche RH.
Tout cela doit être pensé avant d’atteindre une taille critique en entreprise (100 personnes).
Pour réaliser cette mission, un DRH à temps partiel ou un DRH senior en temps partagé peut suffire. Il en existe de plus en plus sur le marché.
Dans quelle mesure le risque de burn-out dans la fonction RH est-il élevé ?
Beaucoup d’études montrent que les risques de burn-out sont importants pour la fonction RH. Dans l’écosystème tech, beaucoup de DRH ressentent une certaine fatigue.
Maud Grenier, ex-DRH qui est devenu consultante, parle bien de ce phénomène sur son compte LinkedIn à travers des études, des retours d’expérience et des publications sur l’épuisement professionnel des RH.
À propos de la guerre des talents dans le numérique, comment attirer les meilleurs éléments ?
Il faut les attirer, mais aussi les retenir ! Le travail sur la marque employeur est important en racontant des histoires authentiques et sincères. La meilleure solution est d’inciter les collaborateurs à s’exprimer eux-mêmes. Il faut également travailler sur les communautés d’alumni en capacité de recommander l’entreprise.
Nous ne sommes pas dans une optique de retenir à tout prix. Nous sommes plutôt dans une logique d’expérience apprenante et épanouissante pour les collaborateurs.
Pour les profils les plus recherchés dans l’exploitation de la data par exemple, cela passe par le niveau de salaire (nous jouons la carte de la transparence totale des salaires et de la grille de compétences) mais aussi la richesse et la qualité des projets technologiques sur lesquels ils travaillent.
À mon avis, les challenges technologiques constituent le premier vecteur d’engagement et de rétention.
Un des sujets en 2025 est de généraliser cette transparence salariale à l’ensemble de l’entreprise pour être prêt lors de la transposition de la directive européenne prévue l’an prochain. Pour cela, nous utilisons la plateforme Figures pour le benchmark des salaires.
Comment appréhendez-vous l’IA dans la fonction RH ?
C’est hyper important. Nous avons commencé assez tôt au point d’en mettre partout dans tous nos process RH : admission et expérience des candidats et des étudiants.
- Nous avons organisé un atelier avec l’IT pour identifier les points de l’expérience collaborateur les plus dégradés et les améliorer avec l’IA : recrutement, description des fiches de postes, établissement des corrigés, élaboration d’un prompt pour relire les feedbacks, aide aux managers pour décrire les objectifs des équipes…
- Nous utilisons là aussi les fonctionnalités IA intégrées dans Lattice mais aussi Gemini (assistant IA de Google) qui est intégré dans nos outils.
- Avec l’IA, nous gagnons un temps absolument incroyable dans les processus de recrutement et nous facilitons la vie des managers et des collaborateurs. C’est notre responsabilité de faire de l’IA un outil au service de l’humain et non un outil qui va remplacer l’humain.
- Notre responsabilité en tant que RH, c’est d’anticiper comment l’IA va changer les métiers et les compétences.
Réduction d’effectif chez OpenClassrooms
OpenClassrooms a enclenché une rupture conventionnelle collective en janvier 2025. Son déploiement s’est achevé début avril 2025. Il a concerné une soixantaine de collaborateurs.
« • Nous avions initié ce plan car Il fallait adapter notre effectif en raison de la conjoncture. Nous avions déjà eu un plan de départ portant sur un quart de notre effectif au printemps 2023.
• Le marché de l’éducation en ligne s’est beaucoup resserré. La situation se complique aussi dans l’apprentissage au cœur de nos activités et nous voyons des vents contraires avec la réforme du financement de l’apprentissage par le gouvernement. Bien que nous soyons quelque peu épargnés par le décret d’application qui se montre plus subtile pour la configuration d’activités de formation en ligne d’OpenClassrooms », précise Stéphanie Fraise.
L’effectif d’OpenClassrooms est redescendu à 250 collaborateurs.
(extrait d’une interview réalisée pour News Tank RH et initialement diffusée le 08/07/2025. Pour bénéficier d’un accès Découverte)
Concepts clés et définitions : #DRH ou directeur des ressources humaines