Formation

Frédéric Bardeau, Simplon : « En 10 ans, nous avons conservé notre ADN social et solidaire »

Par Philippe Guerrier | Le | Organisme de formation

Série d’interviews « 10 ans de digital learning » (volet 1/4) : Frédéric Bardeau, président et fondateur de Simplon, explique comment le centre de formation aux métiers du numérique a changé de configuration depuis sa création en 2013.

Interview spécial 10 ans de Simplon avec son fondateur Frédéric Bardeau - © D.T.
Interview spécial 10 ans de Simplon avec son fondateur Frédéric Bardeau - © D.T.

En 2023, Simplon a célébré son 10ème anniversaire.

Entre bilan d’étape et perspectives, Frédéric Bardeau, président et fondateur de Simplon, partage ses points de vue sur le marché des bootcamps, des formations aux métiers du numérique, l’évolution des technologies et de l’arrivée de France Travail.

Entre le statut d’entreprise de l’économie sociale et solidaire et de centre de formation professionnelle aux métiers du numérique, comment la perception de Simplon a-t-elle changé en 10 ans ?

Cela reste un mix effectivement. En 10 ans, nous avons conservé notre ADN social et solidaire au regard des profils de nos apprenants, des niveaux de qualification, sur les programmes handicap et réfugiés…Cela nous dessert parfois mais nous tenons à garder notre vision inclusive.

En même temps, depuis 2015, nous sommes engagés dans la reconversion des salariés sur des sujets pointus comme l’IA, la donnée, la réalité virtuelle et la blockchain à travers des partenariats avec des GAFAM. Ce qui nous place dans une catégorie plus classique d’organisateur de formations numériques.

En France, le marché des bootcamps est saturé, même si Simplon continue à croître de 5 à 15 % en fonction des années.

Il existe beaucoup de concurrence pour toucher « la population la plus rentable » parmi les demandeurs d’emploi : diplômés, personnes aux multiples activités et disposant de soft skills…En revanche, lorsqu’il s’agit de toucher les personnes les plus éloignées de l’emploi (ce qui est notre cas) qui sont plus difficiles à convaincre et à motiver pour le développement de leurs compétences, nous nous retrouvons assez seuls.

Rencontrez-vous de plus en plus de difficulté à trouver des entreprises qui prennent des apprenants Simplon en alternance ?

La hauteur de la marche est de plus en plus haute avec des entreprises qui ont relevé leurs prérequis en se tournant davantage vers les niveaux bac +2 à bac +6. Chez Simplon, nous menons un véritable travail de sourcing et de positionnement avec un financement qui ne prend pas en charge ces volets-là.

Les entreprises aiment bien la diversité quand elle est déjà un peu capée.

  • Elles sont plus exigeantes pour les profils se présentant sur des compétences numériques de type développeurs, techniciens réseaux, administrateurs…
  • En revanche, sur des profils en pénurie dans la cybersécurité et l’IA par exemple, les entreprises se montrent plus ouvertes sur les profils présentés à l’entrée car elles n’ont pas le choix : il faut former des juniors.

Il existe aussi un frein administratif à l’alternance : recours à un responsable RH pour la prise en charge, appel à un tuteur qui encadre l’alternant, des dossiers à remplir…Cela peut rebuter les petites entreprises malgré les aides financières de l’Etat.

Nous soutenons à fond les entreprises dans ce sens pour mettre de l’huile dans les rouages. Là aussi, ce volet n’est pas prévu dans notre financement mais c’est notre motivation au quotidien.

Simplon : évolution du nombre d’apprenants (source : rapport d’impact Simplon - T1 2023) - © D.R.
Simplon : évolution du nombre d’apprenants (source : rapport d’impact Simplon - T1 2023) - © D.R.

Comment gérez-vous les accords pédagogiques mis en place avec des grands groupes du numérique ?

  • Nous avons établi un partenariat fort avec Microsoft depuis 2018 pour des formations autour de l’IA et plus récemment autour de la cybersécurité dans des schémas d’alternance. Nous avons célébré le 5ème anniversaire en mars 2023. Par exemple, nous avons formé plus de 1 000 personnes sur l’IA et nous avons intégré depuis 9 mois une dimension d’IA générative.
  • Notre partenariat avec Apple, à travers l’Apple Foundation Program, se poursuit. En 2024, nous célébrerons le 5ème anniversaire de ce programme qui a déjà accueilli plusieurs milliers d’apprenants. Certains d’entre eux ont été embauchés au sein d’Apple.
    • A travers ce partenariat, Apple se montre exigeant avec des demandes de formations spécifiques et de promotions dédiées aux femmes et aux personnes en situation de handicap. Le groupe de Tim Cook a signé des accords similaires avec d’autres écoles dans d’autres pays.
    • Les programmes pédagogiques consacrés aux environnements technologiques d’Apple s’échelonnent sur 4 semaines puis, toujours dans le cadre d’un accord Apple - Simplon, une autre session de perfectionnement est proposée à l’école de développeurs d’Apple à Naples (Italie). Plusieurs dizaines de personnes par an se rendent sur place pour réaliser un cycle d’un an sur place en bénéficiant de bourses attribuées par Apple. D’autres se raccrochent à des formations Simplon standard (développement Web, IA…).
    • En 2023, nous avions testé avec Apple une formule d’alternance de 6 mois centrée sur le développement sur iOS, qui a bien marché. Au bout de cette promotion, entre 2 et 3 alternants ont travaillé chez Apple France. Nous allons rééditer cette formation en 2024.
  • En juin 2022, nous avons lancé l’Académie du métavers avec Meta (Facebook), avec une centaine d’alternants intégrés dans des sociétés du gaming ou de la formation et les technologies immersives.
    • Mais, en raison du récent revirement technologique décidé par le groupe, nous mettons de côté la formation liée au métavers pour nous consacrer à l’IA générative.
    • Des nouveautés seront annoncées dans ce sens avec Meta en 2024 mais le programme sera différent de celui de Microsoft.

Avec tous ces acteurs importants du numérique, nous apprenons à gérer les cycles technologiques et à adapter nos formations en conséquence.

Dans vos activités de formation, dans quelle mesure le thème de la reconversion des salariés prend de l’importance ?

Avec l’international et le programme handicap, c’est la 3ème locomotive de la croissance de Simplon.

Dès 2015, nous avons commencé à collaborer avec La Poste pour la reconversion de postiers vers des métiers du numérique : développeur, data analyst, analyste en cybersécurité…Nous en sommes à la 11ème Promotion La Poste - Simplon. Nous sommes également partenaires de son Ecole Data & IA lancée en 2022.

Nous avons étendu la dimension de reconversion et de montée en compétences à d’autres entreprises qui ont des problématiques de GPEC et mobilité interne : SNCF, L’Oréal, BNP Paribas, et Bouygues.

Illettrisme numérique : la prise de conscience

• « En parallèle, nous avons été approchés par des entreprises pour des problématiques d’illettrisme numérique. Par exemple, une entreprise qui exploite un SIRH et qui dématérialise les bulletins de paie et les dépôts de congés. Il arrive que 15 à 20 % des salariés ne parviennent pas à utiliser convenablement ces outils numériques dans leur vie professionnelle mais aussi des services publics numériques à titre personnel.
• Nous avons réalisé des formations dans ce sens pour des cols bleus en usine dans des groupes comme Suez, Bouygues ou Schneider Electric », déclare Frédéric Bardeau.

Comment approfondir les liens avec Pôle emploi, l’un de vos partenaires de prédilection ?

L’arrivée de Thibaut Guilluy à la direction de France Travail est une bonne nouvelle

C’est un partenaire incontournable pour le sourcing et le financement de nos formations. Grâce à Pôle emploi, les demandeurs d’emploi peuvent participer gratuitement aux apprentissages liés aux métiers du numérique de Simplon. Nous parlons tous les deux aux entreprises qui recrutent.

La situation va évoluer en 2024 avec l’émergence de France Travail, nouvel opérateur du service public de l’emploi qui va remplacer Pôle emploi. Nous pensons que ce sera une bonne nouvelle pour les demandeurs d’emploi de disposer d’une seule organisation de coordination - même décentralisée - pour la recherche d’un travail ou d’une formation.

Je considère que l’arrivée de Thibaut Guilluy à la direction de France Travail est une bonne nouvelle. Je le connais bien avec son parcours d’entrepreneur social à travers le groupe Ares : il s’adresse à des publics qui sont les nôtres. Il prendra à cœur le sujet de l’insertion et des acteurs de la formation comme Simplon.

Quel est l’impact de l’IA générative dans les activités de Simplon ?

Depuis la sortie de ChatGPT en octobre 2022, je travaille dessus à fond pour évaluer l’impact sur les activités de Simplon.

Nous intégrons l’IA générative et nous approfondissons la réflexion sur plusieurs niveaux :

  • nos outils de travail et dans nos méthodes pédagogiques ;
  • l’évolution des métiers du numérique ;
  • des workshops, ateliers de sensibilisation au niveau d’un comex de groupe comme celui de La Poste ;
  • l’accompagnement pour la recherche d’emploi de nos apprenants.

Entre nos formations et l’essor de l’IA, c’est troublant de voir l’écart de la fracture numérique se creuser. Nous avons parfois l’impression d’accélérer la transformation numérique qui génère elle-même des exclus du numérique. C’est l’une des vocations de Simplon de raccrocher tous les wagons du train sans laisser des personnes sur le quai.

Quelle est la situation financière de Simplon à fin 2023 ?

  • Nous avons connu 10 ans de forte croissance chez Simplon, avec du cash consommé et des prêts consentis par des entreprises de l’ESS ou la Banque des territoires. Mais cela a engendré aussi des pertes et des dettes en lien avec la nature de notre activité et de notre modèle économique hybride.
  • Depuis mars 2023, nous sommes en voie de redressement de nos finances et avons atteint la rentabilité. Cet objectif a été facilité par l’arrivée en août 2022 de Véronique Saubot comme directrice générale de Simplon. L’effort financier doit se poursuivre.
  • À partir de 2025, nous devons commencer à rembourser des dettes. Nous sommes plus vigilants en termes de contrôle de gestion et de résultats à dégager chaque année. Nous trions aussi davantage les nouveaux projets d’investissement. Nous savons que les programmes de reconversion, de handicap et d’internationalisation sont plus rentables que les marchés publics de formation en région.
  • Chez Simplon, nous avons la chance d’avoir des investisseurs qui s’engagent pour l’impact et qui nous soutiennent pour une croissance saine et rentable. Simplon est accompagné par la Banque des Territoires et des fonds d’épargne salariale solidaire gérés par des sociétés de gestion de fonds comme Amundi (Crédit Agricole) et Mirova (Natixis, Groupe BPCE).
  • Sur l’exercice 2023 (la clôture annuelle intervenant désormais à fin décembre), nous allons réaliser un CA de 30 M€ pour 1 M€ de résultat.

Fondation Simplon : 3 champs d’action

• soutien financier à des apprenants en situation d’urgence comme les refugiés ou des personnes qui perdent des droits sociaux pour éviter le décrochage ;
• soutien financier pour des programmes non pris en charge par l’ingénierie de financement de la formation professionnelle comme le sourcing ou des cours de français pour les réfugiés ;
• actions liées au programme pour un numérique responsable et d’intérêt général : appels à projets sur les IA génératives pour les associations, accessibilité numérique, féminisation, sensibilisation dans les collèges…

La Fondation Simplon bénéficie de l’appui d’organisations à vocation philanthropique comme la Fondation de France ou des fondations d’entreprise comme celles de Société Générale ou BNP Paribas. Son budget annuel est de 3 M€ par an.

Comment assurez-vous votre développement à l’international ?

En France, nous opérons les activités essentiellement en propre.

À l’international, nous avons 3 filiales exploitées en direct : Maroc, Sénégal, Côte d’Ivoire. Mais nous privilégions le système de franchise avec des partenaires locaux à travers lequel nous apportons des éléments d’organisation, de méthodes de formation, etc.

Les relais d’impact sont plutôt à l’international, où il existe une importante dynamique. En 2023, nous avons ouvert en Arabie Saoudite et le Cambodge est prévu en 2024.

Déploiement de « fabriques » en France et dans le monde

Simplon a ouvert 104 « fabriques » en France et dans le monde, correspondant à des écoles numériques inclusives qui accueille une ou plusieurs formations, parfois un fab lab et/ou des activités de production.

Elle a déployé :
• 57 fabriques en propres,
• 46 fabriques partenaires.

Vu sous un angle géographique, Simplon a :
• 79 fabriques en France,
• 25 fabriques à l’international dans 22 pays : Afrique du Sud, Algérie, Arménie, Arabie saoudite, Belgique, Burkina Faso, Cameroun, Colombie, Côte d’Ivoire, Espagne, Gabon, Jordanie, Mali, Maroc, Niger, République démocratique du Congo, Roumanie, Sénégal, Sierra Leone, Suisse, Tchad, Togo.

(relevé effectué le 19/12/1023)

Adaptation d’une interview de News Tank RH publiée le 19/12/2023. Accédez à l’offre Découverte.

Concepts clés et définitions : #France Travail : définition, organisation, gouvernance