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Hausse des licenciements pour faute grave : un des impacts des ordonnances Travail 2017

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Selon un rapport de recherche publié par France Stratégie au nom du Comité d'évaluation des ordonnances Travail de 2017, plusieurs impacts se dégagent, notamment sur les licenciements pour faute grave mais aussi les APC et la RCC.

Hausse des licenciements pour faute grave : sous le prisme des ordonnances Travail 2017 - © D.R.
Hausse des licenciements pour faute grave : sous le prisme des ordonnances Travail 2017 - © D.R.

Un rapport, cofinancé par la DARES dans le cadre d’un appel à projets de recherche et réalisé pour le compte du comité d’évaluation des ordonnances Travail, a été publié par France Stratégie le 20 juillet 2023*.

L’objectif de cet appel à projets était d’évaluer l’impact des nouvelles règles prévues par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et relatives :

  • à la conclusion et à la rupture du contrat de travail sur les flux,
  • au volume et à la qualité de l’emploi ;
  • au fonctionnement du marché du travail ;
  • aux performances économiques et sociales des entreprises.

Le rapport final de l’équipe de recherche sélectionnée sous la coordination de Raphaël Dalmasso (IFG, Université Lorraine) et Camille Signoretto (Ladyss, Université Paris Cité) a été remis dans le courant de l’année 2023 (c’est à dire postérieurement à la clôture des travaux du comité d'évaluation remontant au 6 janvier 2023).

Les 5 ordonnances du 22 septembre 2017 (dites Macron) « ont modifié en profondeur les règles de droit du travail encadrant les relations individuelles et collectives de travail, et particulièrement les modalités de rupture du CDI, de négociation collective et de représentation du personnel », indiquent-les auteurs en introduction.

Plusieurs tendances sont mises en exergue dans le rapport : 

  • Une absence de rupture de tendance autour des ordonnances 2017 dans l'évolution agrégée des entrées et sorties de CDI ;
  • une hausse sensible des licenciements pour faute grave ;
  • Les accords de performance collective (APC) observés comme un catalyseur des modifications des contrats de travail sans réelles contreparties pour les salariés ;
  • La mise en œuvre de la rupture conventionnelle collective (RCC) qui offre des marges de manœuvre inédites pour les restructurations, sous le contrôle, mais aussi l’autorisation expresse, des signataires de l’accord ;
  • Sur le barème obligatoire des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse : une baisse des montants accordés en cours d’appel touchant inégalement les salariés est constatée, ainsi qu’une réduction de la variabilité des indemnités.

Voici 3 focus issus du rapport de l'équipe de recherche. 

Hausse sensible des licenciements pour faute grave

Sans distinction de motif, les licenciements pour cause personnelle ont augmenté sur la période 2015-2019 : +28 % entre le troisième trimestre 2015 et le troisième trimestre 2019.

Mais le taux de croissance a été plus élevé sur la période post-ordonnances (+17,1 %), par rapport à la période d’avant (+9,4 %).

« C’est le licenciement pour faute grave qui contribue très majoritairement à cette hausse (de 81 % précisément sur les 2 périodes) », indiquent les auteurs du rapport.

  • « La hausse des licenciements pour faute grave ou lourde pourrait retracer une évolution du comportement des employeurs via des changements de qualification de certaines ruptures. Car l’indemnité légale de licenciement n’est pas due dans ce cas, alors que les ordonnances Travail ont augmenté ces indemnités légales et réduit le risque contentieux avec le barème prud’homal.
  • Il serait également possible que cette évolution reflète le comportement des salariés, par exemple via une hausse des abandons de poste qui, selon une étude récente de la Dares, pourraient constituer une part significative des fautes graves et lourdes. »

APC : des clauses plus favorables à l’employeur en contrepartie de restructurations moins impactantes pour les salariés

« APC : une grande inventivité de la pratique »

Les accords de performance collective (APC) permettent à un employeur de proposer des modifications de contrat de travail aux salariés, que ces derniers peuvent refuser. Ils s’exposent alors à un licenciement « pour une cause nécessairement reconnue comme réelle et sérieuse ».

À partir d’un échantillon de 37 accords signés entre janvier et mars 2021, les chercheuses et leur équipe ont analysé :

  • les justifications des employeurs à l’utilisation de ces accords ;
  • les résultats de la négociation avec les représentants des salariés, c’est-à-dire des éventuelles contreparties aux propositions de l’employeur.

Le recueil des clauses contractuelles des accords étudiés fait ressortir « une grande inventivité de la pratique et une grande complexité des modifications proposées aux contrats de travail des salariés, portant sur la rémunération, le temps de travail, ou la mobilité des salariés ».

« Ces modifications peuvent se combiner, rendant parfois complexe leur interprétation, en particulier pour les salariés et leurs représentants », selon les auteurs du rapport.

  • S’agissant des rémunérations, les employeurs souhaitent le plus souvent les baisser (ces baisses pouvant prendre plusieurs formes) ;
  • Sur le temps de travail, certains peuvent vouloir une diminution, d’autres une augmentation.
  • Dans certains cas, l’application combinée des modifications relatives au temps de travail et à la rémunération conduit à une baisse de la rémunération horaire pour les salariés, ce qui n’est pas toujours explicite dans les accords.
  • Les contreparties à ces propositions obtenues par les représentants des salariés sont très souvent de faible ampleur.

Au total, l’analyse de l’échantillon montre qu’en contrepartie de restructurations moins importantes, les salariés et leurs représentants acceptent pour une large majorité des clauses (aménagement des rémunérations, du temps de travail ou de la mobilité) plus favorables à la partie employeur.

RCC : un outil pour les employeurs de recomposition et de façonnage sécurisés de la main-d’œuvre

Les conclusions du rapport s’appuient sur 68 accords de rupture conventionnelle collective (RCC) signés et homologués en 2019 par l’administration du travail.

« La complexité et la longueur des accords pourraient être le signe d’un certain pouvoir partagé entre négociateurs et d’une vraie discussion entre parties sur les clauses de ces accords », selon les auteurs du rapport.

Les chercheuses ont pu en effet pu constater « une grande inventivité dans la rédaction des clauses de l’accord, en particulier une procéduralisation de certaines étapes en dehors de toute exigence légale ».

  • « C’est le cas par exemple en matière d’éligibilité ou des élection des salariés concernés, d’information pleine et entière de ces derniers lors de leur adhésion, etc.
  • Toutefois, ces premiers signes d’un éventuel partage du pouvoir ne sont pas toujours manifestes ».

D’autre part, il semble que « les marges de manœuvre dont peut disposer l’employeur avec les RCC comparées aux autres dispositions existantes en droit des restructurations sont inédites ».

  • « Avec la RCC, l’employeur dispose de la capacité de réduction de ses effectifs, comme pour un licenciement économique collectif, mais il peut également façonner à sa guise la composition de sa main-d’œuvre.
    • Par exemple, si le reclassement existe, il sera surtout externe à l’entreprise, permettant plus facilement le départ définitif de certains salariés ou types de salariés ; et il n’y a, en général, plus aucune priorité de réembauche.
    • De plus, dans la détermination du périmètre des salariés concernés par la RCC (critères d’éligibilité), puis dans leur sélection, des cibles sont définies.
  • L’analyse des critères de départage fait ressortir que les critères sont le plus souvent multiples, et éventuellement imbriqués (métier/secteur, ancienneté/âge par exemple). Les critères purement professionnels (liés au métier, au secteur d’activité, …) sont aussi présents dans les accords que les critères personnels (liés aux handicaps, à l’ancienneté ou l’âge par exemple). »

Un dernier rapport prévu à l’automne 2023

• Un dernier rapport du Comité d'évaluation des ordonnances est attendu à l’automne 2023 : celui de Pierre Cahuc, Stéphane Carcillo, Pauline Carry, Flavien Moreau, Bérengère Patault, FNSP (Fondation nationale des sciences politiques) portant sur « l'évaluation de l’impact du barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse ».
• Il est réalisé dans le cadre de l’appel à projets de recherche de France Stratégie, « Travaux quantitatifs sur l’impact sur les entreprises et l’emploi des dispositions reformant le dialogue social et les relations de travail », lancé en 2022.

*Ce rapport est publié sous la responsabilité de ses auteurs et son contenu n’engage ni France Stratégie, ni la DARES et ni le comité d’évaluation.

Adaptation d’un article de News Tank RH publié le 21/07/2023. Pour accéder à l’Offre Découverte.

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