Philippe Rodet, Yves Desjacques : « La bienveillance, levier de performance pour les organisations »
Entretien croisé des coauteurs de l’ouvrage « Le management bienveillant ». L’exploitation de leur thème de prédilection remonte à 2017 mais elle reste d’actualité pour les organisations.

« Le management bienveillant, c’est une forme de management exigeante, structurée, qui vise à concilier performance durable et santé des collaborateurs. Ce n’est surtout pas une posture molle ou une forme de gentillesse. C’est une capacité à mobiliser, à créer les conditions pour que chacun ait envie d’agir », déclare Philippe Rodet.
Ce médecin urgentiste de formation est devenu consultant et expert sur la promotion de comportements bienveillants au sein des organisations, et auteur d’ouvrages à ce sujet (comme « La bienveillance au travail » dans une version réactualisée parue en septembre 2021 et « La bienveillance, source d’espérance » en février 2024 aux Éditions Eyrolles).
« Le stress coûte 60 milliards d’euros par an, soit environ 3 points de PIB. L’absentéisme est à 6,7 % en moyenne. Ce ne sont pas des détails qui concernent les seuls DRH. Nous parlons bien ici d’indicateurs macroéconomiques. Et l’un des ressorts, c’est la perte de sens. Quand un collaborateur a un niveau de stress trop important, il se désengage. Ou il compense - par les drogues, l’alcool, les médicaments », déclare Yves Desjacques, ancien DGA RH de grandes entreprises privées et collectivités publiques.
En 2017, il a cosigné avec Philippe Rodet l’ouvrage « Le management bienveillant » (Eyrolles, avril 2017), qui est devenu une référence avec plus de 25 000 exemplaires vendus.
Entretien croisé sur le thème de la culture de management par la bienveillance
Comment analysez-vous ce succès durable qui semble montrer que le sujet du management bienveillant demeure d’actualité ?
Yves Desjacques : Nous ne l’avions pas anticipé à ce niveau. Ce succès vient d’une convergence entre deux réalités. D’une part, une attente forte dans le monde du travail, un besoin de sens, d’humanité, d’un autre rapport à l’autorité et à la performance.
D’autre part, notre complémentarité avec Philippe Rodet : lui, médecin urgentiste, moi, DRH. Cela a sans doute donné un angle original à l’ouvrage. Nous n’avons pas produit un énième livre de consultants, mais un livre de praticiens.
Notre objectif n’était pas de moraliser, mais de démontrer que la bienveillance est un levier de performance durable pour l’ensemble des entreprises et des organisations. C’est ce mélange d’exigence et de connexion au réel qui est reconnu par les lecteurs.
Philippe Rodet : Ce qui m’a frappé, c’est à quel point ce que nous avons écrit en 2017 reste d’actualité. L’augmentation du stress au travail est continue depuis 2008. La crise sanitaire a aggravé la situation. Et les chiffres que nous relevions alors, sur la démotivation, sur le désengagement, les effets du stress sur la santé, se sont tous confirmés.
La démarche que nous proposions, articulant physiologie, psychologie et pratiques managériales, a trouvé un écho car elle répondait à un besoin profond. Et elle s’est révélée efficace.
Dans les entreprises où nous avons pu la mettre en œuvre, les résultats sont là : baisse du stress, augmentation de l’engagement, meilleure cohésion des équipes.
Huit ans après la publication de votre ouvrage, comment définiriez-vous aujourd’hui le management bienveillant ?
Philippe Rodet : C’est une forme de management exigeante, structurée, qui vise à concilier performance durable et santé des collaborateurs. Ce n’est surtout pas une posture molle ou une forme de gentillesse. C’est une capacité à mobiliser, à créer les conditions pour que chacun ait envie d’agir.
Nous avons formalisé cela autour de trois temps :
- la sensibilisation via des conférences interactives,
- l’incitation à tester des pratiques dans un délai court,
- un ancrage dans la durée, avec des rappels, des outils de suivi, des échanges entre pairs.
Yves Desjacques : Nous avons intégré cette démarche dans les systèmes d’évaluation des managers. Dans certaines entreprises, jusqu’à 30 % de la part variable des managers dépend de leur capacité à incarner ces comportements de management bienveillant.
Parce que si vous rémunérez seulement la performance brute, vous créez de la pression court-termiste. En valorisant les qualités des attitudes managériales, vous soutenez une dynamique collective. C’est une condition de pérennité de la démarche de management bienveillant.
Avec une telle démarche structurée, le DRH et le directeur général peuvent quitter l’entreprise, la culture reste si l’ensemble des managers de terrain sont formés et convaincus.
Quels sont les effets concrets observés dans les entreprises ayant déployé cette culture managériale ?
Philippe Rodet : Dans un grand groupe français où la démarche a été appliquée à grande échelle, nous avons fait réaliser une enquête par BVA pour en évaluer les effets.
Résultat : un taux d’engagement de 51 %, contre 28 % en moyenne nationale à l’époque, toutes entreprises confondues. Nous avons enregistré un taux de stress nettement inférieur à ce qu’on observe ailleurs.
C’est ce type de preuve qui fait la différence. Le stress ne baisse pas parce qu’on le souhaite, mais il baisse quand l’organisation change, quand le management change.
Yves Desjacques : Cette efficacité ne dépend pas du contexte culturel. J’ai vu la même dynamique en France, en Amérique latine, dans le secteur privé comme dans le secteur public. Parce qu’il ne s’agit pas de méthode imposée, mais d’un cadre qui met l’humain au centre.
Ce que j’ai observé en Colombie ou au Brésil, c’est une résonance presque spirituelle vis-à-vis de cette approche. Le sentiment que le travail peut redevenir un lieu d’épanouissement et non plus seulement un lieu de contrainte.
Mais cette notion n’est-elle pas en train d’être galvaudée ? On voit fleurir des références à la bienveillance et un management bienveillant un peu partout…
Yves Desjacques : Il y a là un véritable danger. Certains se réclament de cette approche sans jamais l’avoir pratiquée. D’autres l’assimilent à de gentillesse, alors que ce sont deux choses différentes.
La gentillesse a ses mérites, mais elle ne suffit pas à transformer une organisation. Et surtout, à force de parler de bienveillance sans rigueur, on vide le mot de son sens. Il devient tiède, sympathique, mais inefficace.
Ce que nous défendons, c’est une bienveillance exigeante, structurée, mesurable.
Philippe Rodet : Je suis souvent frappé de voir des entreprises organiser une conférence sur la bienveillance… et s’arrêter là. Comme si le simple fait d’en parler suffisait.
Mais si le manager n’est pas incité, n’est pas accompagné, s’il n’est pas outillé, rien ne change. Pire : les collaborateurs perçoivent le décalage entre le discours et la réalité, ce qui crée de la défiance.
Le management bienveillant ne peut pas être cosmétique. Il doit être ancré dans le réel.
• Pour consulter l’intégralité de l’entretien croisé entre Philippe Rodet et Yves Desjacques, rendez-vous sur News Tank RH (ce contenu est disponible en accès libre).
Concepts clés et définitions : #DRH ou directeur des ressources humaines