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Hervé Novelli - API : « Il existe une sorte de guerre entre l’intérim et les plateformes numériques »

Par Philippe Guerrier | Le | Intérim

Cet ancien secrétaire d’Etat en charge des PME a créé le statut d’autoentrepreneur. Avec l’Association des Plateformes d’Indépendants, il prolonge le combat et le débat en lien avec la diffusion du rapport Frouin.

Hervé Novelli, président de l’API, réagit à la publication du rapport Frouin en décembre 2020. - © D.R.
Hervé Novelli, président de l’API, réagit à la publication du rapport Frouin en décembre 2020. - © D.R.

La publication du rapport Frouin sur le statut des travailleurs des plateformes numériques a suscité une vague de réactions de la part des organisations professionnelles intéressées par le potentiel de ce segment de marché.

Hervé Novelli, ex-secrétaire d’Etat chargé des PME qui avait élaboré en 2008 le statut d’autoentrepreneur (transformé en microentrepreneur à partir de 2016), préside l’Association des Plateformes d’Indépendants (API).

Fondée en novembre 2019, l’organisation a vocation « à représenter l’univers des plateformes numériques qui s’adressent aux travailleurs indépendants et à prôner le dialogue social ». Elle dispose d’une vingtaine de membres comme Deliveroo, Uber, Stuart (filiale du groupe La Poste) dans la livraison de repas ou de colis mais aussi StudentPop, StaffMe, Brigad et Freelance.com dans la sphère des ressources humaines.

RH Matin propose un large extrait de l’interview de Hervé Novelli diffusée le 24 décembre 2020 sur News Tank RH.

En tant que président de l’Association des Plateformes d’Indépendants, quel regard portez-vous sur le rapport Frouin ?

Au nom de l’API, j’avais été auditionné en présentiel par la mission Frouin juste avant le confinement de mars et nous avons apporté ensuite deux contributions écrites.

Le rapport Frouin préconise la mise en place d’un tiers pour qu’un travailleur indépendant puisse jouir des avantages d’un salarié et met en exergue le recours au portage salarial.

Elle ne recueille pas notre assentiment pour deux raisons :

  • La faisabilité  : la loi de modernisation du marché du travail du 25/06/2008, qui a donné naissance à une définition juridique du portage salarial, a été davantage élaborée pour répondre à des besoins de freelances à niveau élevé de rémunération. Nous percevons du coup une inadéquation législative ;
  • La réalité  : la majorité des travailleurs indépendants ne souhaitent pas rebasculer dans le salariat. Ils veulent maintenir leur statut d’indépendant.

Le rapport Frouin évoque également la possibilité de recourir à des CAE. Nous n’exprimons pas d’opposition ferme à cette solution, mais elle ne pourra être qu’une application ponctuelle dans un secteur donné. Pourquoi pas 5 ou 10 acteurs VTC qui décident de créer une coopérative ? Mais cette forme de regroupement volontaire en CAE ne sera jamais une tendance de fond.

Au final, le rapport Frouin met en exergue trois hypothèses :

  • Un tiers-statut entre celui de salarié et d’indépendant. Nous y sommes opposés ;
  • La reconnaissance d’un statut de salarié à tous les travailleurs des plateformes. Ce n’est pas une piste retenue par le Gouvernement. Elle est d’emblée caduque ;
  • La « solution du statu quo » : c’est celle qui prévaut par définition aujourd’hui. En l’agrémentant d’une sécurisation juridique du statut de travailleur indépendant, cette troisième option a notre faveur. Mais il est nécessaire que soit inscrite une définition en droit positif du travailleur indépendant dans le Code du Travail ou ailleurs dans un texte de référence.

Pourquoi la réaction de Prism’emploi vis-à-vis du rapport Frouin vous a surpris ?

J’ai été un peu surpris par la réaction d’Isabelle Eynaud-Chevalier, déléguée générale de Prism’emploi, qui évoque sur News Tank RH [ndlr : notre partenaire média] « une fonction de tiers sécurisateur de l’intérim ». Je ne retrouve pas du tout cette orientation dans le rapport Frouin.

C’était une lecture spécifique, qui donne l’impression qu’il faut passer par l’intérim pour collaborer avec les travailleurs des plateformes. 

Je suis conscient des frictions qui existent entre les acteurs du marché de l’intérim et les plateformes numériques regroupés au sein de l’API (25 membres) dans les domaines de la mobilité, des services à la personne et de l’intermédiation entre travailleurs indépendants et donneurs d’ordre.

Certaines plateformes de l’API sont confrontées à une vindicte de la part de Prism’emploi. Alors que certains grands acteurs de l’intérim se détachent de l’agressivité en considérant que le combat judiciaire est le mauvais chemin.

Il faut aborder cette révolution numérique afin qu’elle profite à tous, y compris aux acteurs de l’intérim, plutôt que de vouer les plateformes aux gémonies.

Les frictions ont tourné en une procédure pénale opposant l’agence d’intérim StaffMatch à la plateforme numérique Brigad de mises en relation avec les travailleurs indépendants… En l’état actuel, il s’agit plutôt d’une sorte de guerre. Mais les décisions de justice prises tournent actuellement plutôt en faveur des plateformes face à l’intérim. D’autres devraient survenir l’année prochaine. Dans le dossier StaffMatch vs Brigad, le référé a été balayé. Il y aura un jugement au fond.

En tant que « père » du statut d’autoentrepreneur en 2009, comment percevez-vous son évolution ?

C’est une belle réforme et j’en suis fier. Il existe 1,7 million de microentreprises. 1 million d’entre elles sont réellement actives. Nous sommes sur un marché qui représente 15 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Cela a changé la vie de beaucoup de personnes.

  • Sur la phase 1, il a fallu dix ans d’installation de ce statut. Il a connu un grand succès, malgré les tentatives de le modifier sur fond de changement de majorité politique. On a changé le nom en microentrepreneur, à défaut de changer la chose. Il joue un rôle social voire d’amortisseur social. Il existe des milliers d’autoentrepreneurs dans les quartiers défavorisés. C’est une manière de démarrer une activité ou d’en exercer une de manière banalisée dans la société française. 
  • La phase 2 est liée à ce que je pressens des mutations de notre économie et de sa plateformisation. Dans tous les secteurs de l’économie française, des plateformes émergent, car le numérique facilite les croisements entre l’offre et la demande de services. Les microentrepreneurs vont de plus en plus recourir à des plateformes pour développer leurs clientèles et faciliter les mises en relation avec les donneurs d’ordres. Cette tendance s’accélérera. Mais, pour que cette évolution soit bénéfique à tout le monde, il faut que les travailleurs indépendants disposent d’un revenu décent et que leur protection sociale soit améliorée, notamment pour l’indemnisation en cas d’accident du travail et pour la couverture d’assurance. 

Une critique a surgi sur l’évolution de ce statut d’autoentrepreneur. Pascal Lorne, fondateur de Gojob, évoque des liens parfois trop patents de subordination entre travailleur indépendant et donneur d’ordre…

C’est tout le sujet de l’adaptation législatif que j’appelle de mes vœux et qui consacrera le statut de vrai travailleur indépendant. Il faudra une définition qui sépare vraiment le statut de salarié par rapport à celui de travailleur indépendant.

Tout cela doit être relativisé, comme nous l’avons constaté pendant la crise sanitaire. Le lien de subordination, qui a caractérisé pendant des décennies le travail salarial, est en train d’évoluer. Avec le télétravail massivement déployé lors des confinements et qui perdure, le travailleur, même salarié, devient de plus en plus autonome.