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Travail par intérim : quand les start-up titillent les poids lourds

Le | Intérim

Une série de pure players bouscule les acteurs influents du marché de l’intérim avec des modèles attractifs, intuitifs et moins onéreux. Enquête et témoignages d’acteurs sur cette cohabitation qui alimente des tensions.

Travail par intérim : quand les start-up titillent les poids lourds
Travail par intérim : quand les start-up titillent les poids lourds

Gojob, Iziwork, Brigad…Avec le développement de la flexibilité du travail, des start-up font parler d’elles sur le marché de l’intérim. Et les investisseurs suivent : Gojob a levé 11 millions d’euros en janvier et Iziwork 12 millions en septembre 2019. Face à ses challengers issus du digital, comment réagissent les poids lourds du travail intérimaire (Adecco, Manpower et Randstad) qui captent 60 % du marché ?

Segment « embryonnaire »

Avec 2,6 millions de travailleurs intérimaires selon l’Observatoire de l’intérim et du recrutement (données 2017), le vivier RH suscite de l’intérêt de la part des acteurs traditionnels, des start-up et des géants américains du numérique (Google for Jobs, Facebook Jobs et Uber Works).
« On dénombre seulement une vingtaine de plateformes d’intérim digitales en France. L’intérim entièrement digitalisé reste un segment embryonnaire représentant à peine 1 % du marché du travail temporaire, explique Olivier Lemesle, directeur d’études du cabinet Xerfi qui a publié en octobre 2019 un rapport intitulé «Le marché de l’intérim digital à l’horizon 2022 ». « Il est toutefois plein de promesses compte tenu de l’essor des usages numériques, des nouvelles formes de travail et des avancées technologiques pour automatiser les tâches chronophages. » 

Profils et missions : chacun son pré-carré

Malgré la pression de cette vague de start-up dynamiques qui veulent marquer leur empreinte, François Béharel, président de Randstad France, reste impassible. De son point de vue, les plateformes nouvelle génération évoluent uniquement sur des secteurs à forte rotation d’emploi (turn over) comme l’hôtellerie-restauration et la vente.
« Dans les secteurs industriels où les processus d’intégration sont complexes, nos clients nous demandent d’organiser des entretiens de sélection sur leur site, de tester les candidats sur leurs propres machines… Nous savons qu’il n’est pas possible de tout digitaliser », estime François Béharel.
Les pure players et les acteurs historiques pourront-ils cohabiter sur un marché qui pèse 20 milliards d’euros en France ? Stéphanie Delestre, co-fondatrice de Qapa, le soutient. « Nos clients utilisent nos services en parallèle de ceux proposés par les agences physiques parce que nous ne sourçons pas les mêmes profils », explique-t-elle.
Cette complémentarité se traduit également dans les missions proposées. « Les plateformes digitales proposent des missions plus courtes et souvent moins qualifiées. Notre cible, c’est l’entreprise qui recrute un préparateur de commande, un cariste, un aide-soignant… Nous ne cherchons pas à nous adresser aux cadres, qui bénéficient par ailleurs d’un panel de services déjà important ou à faire du sur-mesure comme le font les agences traditionnelles », ajoute-t-elle.

Des errances sur le volet juridique

Au-delà des bouleversements observés sur le travail intérimaire, les plateformes élèvent-elles les standards du marché ? Pour Prism’emploi (organisation professionnelle du recrutement et de l’intérim avec 600 entreprises membres), il faut nuancer les contributions de la nouvelle vague d’acteurs, estime sa déléguée générale Isabelle Eynaud-Chevalier.
« Des sociétés comme Gojob et Staffmatch ont respecté le droit du travail dès leur lancement et ont créé un cercle vertueux pour les intérimaires, par leurs actions de méritocratie, d’incitations à la formation…D’autres acteurs ont débuté dans l’errance sur le volet juridique comme Gofer et Side mais ils se mettent progressivement en conformité avec le droit du travail », commente-t-elle.
« Enfin, il y a une catégorie d’acteurs qui résistent à l’évidence juridique comme StaffMe et Brigad et qui délèguent des micro-entrepreneurs au lieu de travailleurs temporaires. Ces derniers pratiquent un modèle non-responsable, qui met en danger la santé des travailleurs, exposent juridiquement leurs clients et menacent les équilibres des systèmes sociaux du pays. »

Modèle économique bancal

L’écho est similaire du côté de François Béharel qui pointe du doigt les plateformes accusées de casser les prix et de fragiliser les modèles économiques existants. « Certaines d’entre elles ont cru bon d’attaquer le marché en étant 30 % moins chers que les acteurs en place, qui dégagent déjà peu de marge. Avec ces tarifs-là, elles ne peuvent pas devenir rentables. Seules des levées de fonds à répétition leur permettront de générer de la croissance », réagit le président de Randstad France.
Illustration avec la plateforme digitale Randstad Direct lancée il y a trois ans, qui regroupe des candidats uniquement évalués par entretien avec des consultants du groupe de travail par intérim. Certes, elle a généré une croissance de 180 % en 2019 mais elle n’a toujours pas atteint le seuil de rentabilité.

Par Aurélie Tachot