Santé mentale et gestion RH : la mobilisation générale amorcée
Élevée au rang de Grande Cause nationale 2025, la santé mentale avec des niveaux qui se dégradent devient un sujet préoccupant. Une situation qui nuit au bien-être des employés et à la performance. Une série d’initiatives multipartites sont prises pour souligner l’impact comme la Charte « Santé mentale et emploi ».
La santé mentale en entreprise monte progressivement en puissance en France. C’est une tendance confirmée en période post Covid-19 et elle se révèle préoccupante au regard des impacts pour la vie au quotidien et les parcours professionnels.
Les organisations commencent à intégrer cette dimension dans leur stratégie sociale, managériale et économique avec l’appui des DRH.
Sous l’étendard de la santé mentale, d’autres paramètres sont considérés comme les RPS et la QVT devenue QVCT. Cette combinaison de signaux qui intègre l’ensemble des vulnérabilités au travail (maladie, handicap, aidance, burn-out…) est à relier à la performance, une notion essentielle en entreprise pour :
- préserver l’engagement et le bien-être des collaborateurs dans le sens d’une dynamique collective,
- réduire l’absentéisme,
- accroître leur productivité,
- renforcer la dynamique collective.
Les pouvoirs publics, les associations professionnelles et le monde des entreprises s’emparent régulièrement du sujet alors que la 36e édition des Semaines d’Information sur la Santé Mentale (SISM) s’est tenue du 6 au 19 octobre 2025 autour de la thématique suivante « Pour notre santé mentale, réparons le lien social ».
Plus marquant : le sujet de la santé mentale s’est retrouvé sous les feux des projecteurs après avoir été proclamé Grande Cause nationale 2025 par l’ex-Premier ministre Michel Barnier.
Dans le prolongement, un trio d’entrepreneurs qui avancent dans les solutions RH avec leurs sociétés respectives - Rony Msika (Corpogames), Delphine Cochet (Ma Bonne Fée), Jennifer Sitruk (Egym Wellpass, ex Gymlib) - suggère le « bien-être au travail » comme Grande cause nationale 2026 dans une tribune diffusée le 13 juillet dans le journal économique La Tribune.
Alors quel est le regard des entreprises sur ce sujet à mi-chemin entre les enjeux de santé publique et de performance RH ? Une série de nouvelles initiatives est attendue dans le courant de l’automne pour soutenir l’élan esquissé.
Santé mentale : définition de l’OMS
La santé mentale est l’état de bien-être qui permet à chacun :
• de réaliser son potentiel,- de faire face aux difficultés normales de la vie,
• de travailler avec succès et de manière productive,
• d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté.
Santé mentale : des indicateurs préoccupants dans le monde du travail et les DRH
En compilant les données officielles, le tableau s’assombrit :
- À l’échelle européenne, l’OCDE estime que l’impact économique des troubles mentaux représente environ 4 % du PIB.
- Selon les indicateurs officiels du gouvernement français (via le ministère du Travail), 13 millions de personnes présentent un trouble psychique chaque année en France, dont 3 millions de personnes avec des troubles psychiques sévères.
- En 2022 en France, 3,4 millions d’actifs ont été concernés par des pathologies mentales ou la prise de traitements psychotropes.
- Chaque année, le coût de la santé mentale est estimé à 24,7 milliards d’euros, dont 60 % supportés par l’Assurance Maladie, 31 % par les employeurs et 9 % par les organismes complémentaires.
- Il affecte 3,4 millions d’actifs : 1,5 million souffrent de pathologies psychiatriques et 1,9 million consomment des médicaments psychotropes sans diagnostic associé.
On retrouve ces derniers indicateurs en guise de teasing dans une étude du cabinet Asterès menée par les Acteurs de la French Care qui fédère une quarantaine d’acteurs privés et publics de la santé en France et MGEN qui sera dévoilée intégralement le 26 novembre 2025 :
- près de 20 % des arrêts maladie sont liés à des troubles psychiques, « un coût évalué à plusieurs milliards d’euros par an pour les entreprises et la collectivité » ;
- près d’1 actif sur 2 déclare avoir été confronté à une situation de stress intense ou à des risques psychosociaux ;
- près de 30 % des salariés affirment être régulièrement exposés à des tensions professionnelles fortes.
Selon Antoine Tesnière, Président des Acteurs de la French Care, « il est urgent d’investir dans la prévention et l’accompagnement dans le monde du travail ».
Une première Charte « Santé mentale et emploi »
Pour la première fois, le thème de la santé mentale a fait l’objet d’une session dédiée lors de la Convention La REF organisée par le Medef entre le 27 et le 28 août au Stade Roland Garros à Paris.
Des initiatives ont été prises sous la houlette de l’Alliance pour la santé mentale, avec une allocution d’ouverture signée par Michel Barnier (ex-Premier ministre devenu fin septembre député de la 2e circonscription parisienne) sur ce sujet qui lui tient à cœur pour des raisons familiales.
En premier lieu, une première Charte « Santé mentale et emploi » a été dévoilée en s’appuyant sur l’Alliance pour la santé mentale pour raccrocher ce thème à la « performance ». Ce collectif regroupe 22 acteurs majeurs de la santé mentale, représentant plus de 3400 organisations et soutenues par plusieurs fondations sous la forme de mécénat (Erié, Ramsay Santé, Aésio…) et engagés pour porter la Grande cause nationale 2025.
Le Premier ministre François Bayrou, qui a succédé à Michel Barnier, s’est aussi porté garant de cette première Charte « Santé mentale et emploi » qui a vocation à fixer des engagements concrets en matière de prévention, formation, accompagnement et sensibilisation et adaptés aux réalités des entreprises ».
Une présentation officielle avec un recueil des signatures pionnières devrait se dérouler le 20 novembre 2025 à Paris lors d’un événement dédié. Une centaine d’acteurs devraient s’engager sur cette première vague autour de cette charte élaborée à partir d’auditions d’experts, de dirigeants, de DRH et de représentants des salariés.
Charte « Santé mentale et emploi » : 4 angles explorés
À travers cette charte, les signataires s’engagent dans un délai de 3 ans à agir sur 4 axes :
• sensibiliser pour déstigmatiser la santé mentale ;
• développer le dialogue sur la qualité de vie et prévenir les risques psychosociaux ;
• améliorer en continu les conditions de travail ;
• soutenir les travailleurs (formation, mises à disposition de ressources…).
« Une réduction de 30 % de productivité et de création de valeur » selon Qualisocial
Lors de cette session à la REF 2025, Camy Puech, à la fois fondateur de Qualisocial (cabinet spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux, l’amélioration de la qualité de vie au travail et l’accompagnement au changement), administrateur de la FIRPS (Fédération des Intervenants des Risques PsychoSociaux) et coprésident du groupe de travail qui a élaboré la charte « Santé mentale et emploi », a transmis quelques indicateurs sur l’état des lieux extraits de son récent Baromètre 2025 « Santé mentale et QVCT » réalisé avec IPSOS auprès de 3000 salariés français.
Tendance globale : malgré les efforts, la santé mentale des salariés français reste dégradée en 2025. 1 salarié sur 4 se déclare en mauvaise santé mentale. « Nous nous attendions à ce que la situation s’améliore avec la période post-pandémie. Ce n’est pas le cas », évoque Camy Puech.
« Une personne en mauvaise santé mentale ne réalise pas son potentiel et n’arrive pas à faire face à ses défis au quotidien […] Si l’on fait la moyenne des indicateurs de productivité, on observe une réduction de 30 % de productivité et de création de valeur pour une personne concernée », indique le fondateur Qualisocial.
Il souligne également 2 autres points à l’auditoire :
- La prévention complète permet de générer + 26 % de salariés en bonne santé mentale,
- Le management de la QVCT permet de générer 64 % de productivité par salarié en plus.
« L’entreprise est traversée par les évolutions de la société. Elle hérite de cette situation avec une personne sur 4 qui est touchée par un trouble psychique. L’entreprise sera touchée par cela. En faisant de la santé mentale une grande cause nationale, on assiste à un changement historique. Le sujet est devenu sociétal. Nous passons d’un devoir moral à un devoir légal et maintenant à une stratégie gagnant-gagnant. Car le travail est un facteur de protection de la santé mentale », aborde Angèle Malâtre-Lansac, Déléguée générale de l’Alliance pour la Santé mentale.
« À travers la Charte, nous voulons amener un changement de regard dans le monde des entreprises. Nous parlons bien des maladies physiques alors pourquoi pas les maladies psychiques ?
- Il faut oser en parler et savoir écouter. Le niveau de connaissance à ce sujet est trop bas. Il faut l’approfondir pour aborder cette discussion plus facilement.
- Il faut que le dialogue social s’empare aussi de ce sujet, ainsi que toutes les parties prenantes de l’entreprise.
- Les conditions de travail ont un impact. Elles peuvent entraîner des souffrances et du stress. Il faut mesurer les pratiques dans le sens d’une amélioration continue et reconnaître le rôle prioritaire des managers et des DRH sur ce sujet.
- Il faut accompagner les situations individuelles par des actions de prévention (activité physique, droit à la déconnexion…) », déclare-t-elle.
Cette situation de dégradation de la santé mentale qui perdure inquiète aussi les pouvoirs publics.
« La santé mentale est aujourd’hui le premier motif d’absentéisme au travail, avant les troubles musculosquelettiques. La situation est particulièrement préoccupante chez les publics les plus exposés : les jeunes, les femmes, les cadres. Certains vont jusqu’à refuser des promotions managériales par crainte de la surcharge mentale liée aux responsabilités inhérentes à l’encadrement », a conclu Astrid Panosyan-Bouvet, à l’époque ministre chargée du Travail, de la Santé, des Solidarités et des Familles, en fin de session de la REF 2025.
La santé mentale sous le prisme des RPS
Si le dossier de la santé mentale en entreprise devient plus visible sur la place publique, il reste maintenant à savoir comment s’y prendre pour aborder ce sujet qui demeure sensible.
L’angle des « risques psychosociaux » (RPS) est souvent retenu. Cette catégorie intègre le stress au travail (surcharge de travail, manque de moyens, manque d’autonomie) et les formes de violence internes ou externes à l’entreprise (harcèlement…).
Selon la Sécurité sociale, l’exposition à ces risques de travail peut avoir des conséquences sur la santé des salariés, notamment en termes de maladies cardiovasculaires, d’affections psychiques, d’épuisement professionnel (burn-out), voire de suicide.
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Isabelle Tarty, FIRPS - © D.R. « Beaucoup d’entreprises se sont emparées du sujet des risques psychosociaux, mais de manière encore partielle. Certaines obligations incombent aux DRH concernant la sécurité des salariés dans leur environnement de travail. Mais les entreprises doivent prendre conscience que, plus elles s’intéresseront au bien-être et à la santé de leurs salariés, plus les effets seront positifs dans le temps. Il faut ainsi disposer d’une approche globale de la gestion des RPS : par exemple, se doter d’un dispositif d’écoute pour les salariés est un bon point de départ, mais c’est insuffisant. L’approche doit être “globale” et accompagnée de dispositifs de formations, de sensibilisation et d’analyse du travail.
- Il ne faut pas non plus banaliser les RPS : leurs analyses doivent prendre en compte les spécificités des secteurs d’activité avec les risques inhérents aux différents métiers. Il faut également associer à ses démarches, les différents acteurs au sein des organisations du travail qui interagissent sur ce sujet : IRP, médecine du travail, préventeurs, etc.
- Du côté des RH et des managers, l’accompagnement de salariés en difficulté n’est pas toujours évident avec des frontières complexes entre sphère privée et sphère professionnelle lorsqu’un salarié est en difficulté », déclare Isabelle Tarty, Présidente de la FIRPS (Fédération des Intervenants en Risques Psychosociaux), dans un entretien accordé le 17 septembre à News Tank RH.
Boutayna Burkel, dirigeante et fondatrice de The Helpr (cabinet proposant outils d’évaluation de l’efficience RH), reste perplexe sur la manière d’aborder la santé mentale et les limites rencontrées à cause de la conjoncture économique morose, facteur de démoralisation des employés.
- « L’avantage de l’année Grande Cause nationale est de créer l’opportunité d’en parler, alors que les salariés attendent des actions concrètes et tangibles sur leurs conditions de travail. La santé mentale doit être perçue comme un levier de business et un enjeu de production. Cela peut sembler cosmétique de s’intéresser à la santé mentale quand l’entreprise est en difficulté alors que cela peut être un levier de performance et de cohésion. Mais soyons honnêtes : Comment voulez-vous montrer performant si l’entreprise se porte mal avec des risques de suppressions de postes ? Comment voulez-vous stimuler les équipes qui doivent faire mieux et plus avec encore moins de moyens ?
- Promouvoir une sécurité psychologique au travail, ce n’est pas juste un acquis social. C’est une condition de travail qui permet de libérer la créativité pour des nouveaux projets et d’acquérir davantage d’autonomie au travail. Au-delà des salariés qui sont confrontés à des transformations importantes dans leurs activités professionnelles, les managers se retrouvent aussi face à des défis sans précédent et il est important de pouvoir adresser ce sujet aussi », déclare Boutayna Burkel, que RH Matin avait contactée en septembre pour alimenter ce dossier spécial.
« Sur la question de la santé mentale du collaborateur, le manager est le premier contact susceptible de fournir les aiguillages pour l’accompagnement, notamment vers le DRH ou le médecin du travail voire un psychologue du travail. Mais attention, le manager n’est pas un coach ni un psychologue. À travers notre cabinet The Helpr, nous proposons aux managers des diagnostics socio-organisationnels, des formations sous forme de jeux immersifs pour dépasser le statu quo du salarié et agir face au risque de burn-out », commente-t-elle.
Boutayna Burkel émet également des doutes sur la pertinence des outils mis à disposition des collaborateurs.
- « Les outils d’auto-évaluation du bien-être des collaborateurs sont très subjectifs à cause de la limite même de l’auto-déclaration. Se fier uniquement à l’IA avec des risques d’être essentialisés par des biais algorithmiques (genre, âge, etc.) ne représente pas non plus la meilleure des solutions.
- Je pense qu’il faudrait davantage se tourner vers des outils quantitatifs pour évaluer les conditions de travail, les comportements, les alertes voir de la performance collective plutôt que d’analyser le niveau individuel de bien-être par collaborateur qui doit rester non discriminatoire et respectant la vie privée du salarié », évoque Boutayna Burkel, également coauteure avec Charlotte Fortuit-Klein de l’ouvrage « Manager les vulnérabilités en pratique » publié en mars 2025 aux Éditions Dunod.
Santé mentale : un sujet d’inspiration pour les start-up
En septembre 2021, le fonds d’investissement Xange a publié un « mapping des start-up dédiées à la santé mentale » accessible via Medium. Une galaxie (trop ?) éparse qui sera amenée progressivement à un mouvement de consolidation avec certains acteurs amenés à disparaître ou à être absorbés.
Quatre ans plus tard, l’effervescence sectorielle s’est amoindrie, notamment à cause de l’essoufflement du financement global des start-up par les levées de fonds réalisées avec l’appui des fonds d’investissement. Une panne qui a notamment affecté le segment HR Tech, intégrant les start-up positionnées sur la santé mentale.
Néanmoins, plusieurs jeunes pousses sont parvenues à se distinguer. Voici une petite sélection du financement des jeunes pousses de la catégorie Mental Tech dans la période 2021-2025 :
- Teale, qui a levé 2 millions d’euros en février 2021 puis 10 millions d’euros en août 2023 et qui dévoile cette semaine Joy, « la première et unique IA conversationnelle dédiée à la santé mentale au travail »,
- moka.care : 15 millions d’euros en mai 2022,
- Holivia : 2 millions d’euros en février 2022,
- mindDay : 2 millions d’euros en juillet 2021.
- Alan (plateforme dédiée à l’assurance santé) s’est immiscée dans le créneau en acquérant la start-up Jour en 2023 pour 20 millions d’euros. La start-up s’est transformée en service rebaptisé Alan Mind et directement intégré dans l’application d’Alan.
- Moodwork a réalisé une nouvelle levée de fonds de 3,1 millions d’euros en septembre 2025.
En mars 2022, un collectif de start-up française évoluant dans cette sphère a été lancé du nom de MentalTech pour favoriser « l’émergence de solutions numériques en santé mentale ». Il avait été créé à l’époque par 7 membres fondateurs : Qare, hypnoVR, Kwit, moka.care, PetitBamBou, ResilEyes Therapeutics, et Tricky.
Cette galaxie hétéroclite de services numériques de la catégorie MentalTech devrait gagner progressivement en maturité pour véritablement conquérir le marché des entreprises.
Certaines start-up en forte croissance basculent dans le paysage des scale-ups voire des licornes à l’international. Par exemple :
- en Europe, ifeel, venue d’Espagne, a réalisé en mai 2024 une levée de fonds de 20 millions de dollars avec des ambitions en France.
- Aux Etats-Unis, en 10 ans d’activité, Lyra Health a collecté 915 millions de dollars en bouclant 9 tours de table.
Concepts clés et définitions : #DRH ou directeur des ressources humaines